septembre 2

Extrait

« Je suis un être d’ailleurs.

Les jours défilent. J’avance. Changement d’air. Me voici près de l’océan, à quelques pas de cette immense étendue dont le son me berce, dont la sensation me régénère. Presque quatre décennies pour prendre ma voie en main. Ici, je me sens plus libre, plus en harmonie.

Je vois le monde tourner, les humains que je côtoie suivre leur chemin, trouver quelqu’un avec qui avancer. Chaque jour, je peux constater à quel point je suis à mille lieues de leur fonctionnement. Ils vivent, se rencontrent, se retrouvent. Ils ont ce besoin de s’agiter et de faire tant de bruit pour combler l’espace. A croire qu’ils sont terrorisés par le silence et par le vide.

Et pourtant, ce vide est parfois plénitude, ce silence, paix de l’âme. Combien ils gagneraient à se laisser bercer par le son du monde, porter par le souffle du vent, caresser par les vagues de cet infini océan. Qu’y a-t-il de plus doux qu’un ciel empli d’étoiles et le doux murmure du ressac ? Écoutez ! Sentez !

J’ai beau les connaître depuis toujours, être parmi eux depuis si longtemps, jamais je ne me ferai à leurs comportements. Ils sont capables de choisir une personne pour une nuit, de l’avoir oubliée le lendemain. Leurs échanges se font de plus en plus par écran interposé, se sélectionnant sur catalogue, comme l’un de leurs produits de consommation. Qu’en est-il de la rencontre ? Qu’en est-il de la conversation, de toute cette communication non verbale qui révèle l’autre bien plus que ses mots ?

Et qu’en est-il également de cette obsession de surprotection ? Il sera bientôt presque impossible d’échanger une salutation entre deux êtres de sexe opposé sans dévider son casier judiciaire ou ses antécédents médicaux…

Et le Songe, me direz-vous ? Le Songe se meurt, peu à peu oublié, sa magie s’éteignant, noyée par le mercantilisme et le consumérisme dont se glorifie cette espèce.

Alors un être à demi-songe, comment peut-il s’adapter, survivre en ce monde ? Comment peut-il espérer croiser un autre être suffisamment proche pour parvenir à vibrer avec harmonie ?

Je suis un être d’ailleurs, d’un autre temps, d’une autre sphère. Il y a si longtemps que j’erre parmi eux.

Ils ne sont pas sans beauté, sans bonté. Mais rare sont les êtres qui laissent parler en eux cette fibre. Ils ont peur ; peur de sentir, peur d’éprouver, peur de se blesser… Ils ne réalisent pas que c’est par les blessures, par la souffrance que l’on apprend. Ils préfèrent se voiler la face, vivre dans une illusion sécuritaire, dirigés par des fous, de plus en plus soumis et contrôlés par des machines. »

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mai 19

Melmoth – extrait

Court passage d’une histoire à laquelle je travaille:

Le démon mit plusieurs minutes à trouver l’endroit qu’il cherchait : c’était un hangar métallique situé dans une partie peu fréquentée des halles.

« L’endroit parfait pour une embuscade. »Pensa-t-il.

De solides grilles d’acier barraient l’entrée principale mais une fenêtre laissée imprudemment ouverte permit au diable de se faufiler à l’intérieur. Les lieux étaient plongés dans l’obscurité, ce qui n’était pas un vrai problème pour Melmoth. L’odeur flottant dans le bâtiment, par contre, était plus gênante. L’endroit devait être un abattoir car l’air était chargé de relents évoquant le sang et les carcasses récemment découpées. Cela rendait le diable nerveux. Tout son corps était parcouru de minuscules décharges électriques.

Ce qui l’entourait avait tout d’un bureau et ne comportait rien de particulier. Aussi franchit-il une porte qui le conduisit dans l’abattoir proprement dit. Des rails courraient au plafond, sur lesquels étaient placés de grands crochets. Tous ou presque supportaient des quartiers d’animaux prêts à la découpe. L’odeur ici était plus forte que dans la pièce adjacente. Pourtant Melmoth discerna au milieu de celle-ci une seconde fragrance tout aussi familière : une odeur de charogne qui n’avait rien à voir avec celles exhalées par les carcasses. Dans l’obscurité, il se dirigea vers la source de cette odeur. Cette dernière le conduisit au sous-sol d’une troisième pièce, accessible grâce à une trappe de fer s’ouvrant sur un escalier. Dans cette cave, les ténèbres étaient encore plus épaisses et l’odeur absolument écœurante. Mais le démon en avait vu d’autres.

Parvenu dans ce qui devait être le centre de cette pièce au sous-sol, Melmoth distingua une forme suspendue au plafond. A n’en pas douter, c’était la source de cette fragrance inhabituelle. D’autres se mêlaient à cette dernière : une odeur d’humidité, la senteur épaisse de la cire chauffée mais également celle plus minérale de la craie.

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mars 3

L’Orchidée Pourpre – extrait

Un petit extrait d’une nouvelle sur laquelle je travaille en ce moment:

Lorsqu’il entra dans la pièce, la première chose que remarqua l’inspecteur Reginald Stout était le désordre. Les meubles étaient renversés, des papiers éparpillés dans tous les coins et de nombreux éclats de céramique encombraient le sol.

« Eh beh, pas très ordonnée pour une fée ! » Lança-t-il au sergent Fueler.

L’autre haussa simplement les épaules. Fueler était un authentique descendant du peuple nain, bourru et peu enclin à l’humour pendant ses heures de service, surtout si les traits d’humour venaient de Stout. Depuis qu’ils étaient amenés à collaborer, le farfadet s’était habitué à l’humeur maussade du nain. Aussi ne se formalisa-t-il pas de cette absence de réaction. Fueler ne semblait pas comprendre qu’un trait d’esprit pouvait alléger un peu l’atmosphère pesante qui régnait lorsqu’ils se rendaient sur une scène de crime.

Tirant une cigarette de son paquet, Stout la porta à ses lèvres et se concentra sur ce qu’il avait sous les yeux. Le jour se levait à peine et ses yeux fatigués le brûlaient.

Comme à chaque fois qu’il était de permanence nocturne, les choses se passaient mal. Il avait passé une bonne partie de la nuit à remplir des rapports administratifs à son bureau avant qu’une patrouille n’appelle le poste, au petit matin. Dès qu’il entendit la voix du collègue résonner à la radio, Stout sût que sa journée ne faisait que commencer. Une patrouille avait été appelée dans un quartier plutôt calme par des résidents inquiets. Quelque chose se passait chez leur voisine. Ils avaient entendu des cris et des bruits d’objets qui se brisent. Le standardiste avait tenté de les apaiser jusqu’à ce qu’ils lui communiquent le nom de ladite voisine : Valfuria Sonatine, plus connue sous le pseudonyme de l’Orchidée Pourpre. Ce nom avait retenti comme une explosion. Aussitôt, l’opérateur avait transmis l’adresse à une patrouille qui avait filé sur place toutes sirènes dehors. L’Orchidée Pourpre était une vedette montante issue de la communauté des fées et son dirigeant était très influent, cela malgré l’écroulement du royaume des rêves et l’exil des créatures merveilleuses dans le monde des humains.

Aux balbutiements de l’officier, Stout avait détecté que l’affaire était grave. Aussi ne fut-il pas surpris lorsqu’il fut envoyé sur place. Et voilà pourquoi, alors que le jour se levait, il se trouvait dans un appartement luxueux, en train d’observer une pièce en désordre plutôt qu’à savourer un alcool de baies installé dans son fauteuil favori.

S’extrayant de ses pensés, l’inspecteur Stout se redressa et interpella l’un des officiers arrivé en premier sur les lieux.

« Léonide, tu as prévenu Simon ? »

« Oui, inspecteur. Le légiste est en route. » répondit le gnome en uniforme.

« Je crains qu’il n’y ait plus que lui qui puisse faire quelque chose pour cette belle plante. »

En effet, devant les yeux dorés du farfadet s’étalait le splendide corps diaphane de la fée. Elle était allongée sur le sol, enveloppée dans une nuisette de dentelle légère, les lèvres ouvertes sur un cri muet. Une profonde entaille courait de la base de son cou vers sa poitrine d’où son sang translucide s’écoulait lentement, engluant ses ailes diamantines déployées sur le parquet. Le petit rubis qui ornait habituellement son front avait été arraché et demeurait invisible. A sa place s’ouvrait un trou béant dans le crâne de la belle.

Stout détourna le regard quand un nouveau venu fit son entrée dans la pièce. Le docteur Simon Leary était un humain pure souche mais il avait volontairement décidé de travailler avec les peuples merveilleux. Aussi, et contrairement à ses congénères, avait -il rapidement attiré la sympathie de ceux qui avaient affaire à lui.

« Salut Regy. Sergent Fueler… »

« Salut Simon. La cliente n’est pas ordinaire. Alors si tu pouvais faire vite… »

« Ne t’inquiète pas, Reg. Je sais ce qu’il se passe si l’on tarde trop avec les fées. Un instant elles sont là et le suivant il ne reste que de la poussière de lune… »

Le légiste enfila une paire de gants et sortit une bombe aérosol de sa sacoche. Il se pencha ensuite sur le cadavre et vaporisa quelques gouttes de son spray vers le corps de la défunte. Une fine couche de cire se déploya, enveloppant le cadavre comme dans une toile et durcit rapidement, empêchant son évaporation. La nature volatile et insaisissable des créatures fantastiques avait obligé les humains à mettre au point quelques stratagèmes pour les empêcher de disparaître.

Une fois sa vaporisation terminée, Leary se releva et prit de nombreuses photos en détail du corps et de la chambre. Puis il emballa délicatement le cadavre dans une housse de transport et le transféra dans son véhicule, avant de prendre la direction de la morgue.

« Je te donne mes conclusions aussi vite que possible, Regy. » Dit-il avant de démarrer.

« J’y compte bien. Je finis ici et je te rejoins directement dans ton antre. » Répondit le farfadet en rajustant son chapeau.

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septembre 21

Herenstrich (extrait)

« Je passai le reste de la journée dans ma chambre, plongé dans les feuillets de mon roman, m’astreignant à travailler pour éviter à mon esprit de battre la campagne. Lorsque la cloche du diner sonna, je descendis rapidement diner, échangeant quelques propos banals avec mes hôtes puis pris congé. Mais au lieu de remonter directement dans ma chambre, je me glissai dans la salle mitoyenne et me dissimulai entre les meubles couverts de draps blancs. J’attendis quelques minutes puis, lorsque je fus certain que les Von Barth ne quitteraient pas la salle de si tôt, je grimpais silencieusement les escaliers jusqu’ au palier de l’étage. Je m’orientais vers l’aile où j’avais aperçu la silhouette de la jeune femme à la fenêtre et progressais à tâtons dans le couloir sombre. Je comptais les portes pour trouver celle qui devait donner dans la pièce où se trouvait cette fenêtre.  Un mince rayon de lumière filtrant sous l’huis mis fin à mes recherches. Je collais mon oreille au panneau mais n’entendis aucun bruit. J’hésitais un instant puis me reculais d’un pas et frappais délicatement à la porte. Un froissement d’étoffes se fit entendre alors qu’une ombre passait devant le rais de lumière. Je perçus le souffle d’une respiration puis un léger mouvement d’air. La lumière disparut. Je m’approchais, frappant à nouveau légèrement sur le panneau, et murmurais :

« Veuillez m’excusez de me présenter si tard, mademoiselle. Je ne voulais pas vous effrayer. Puis-je vous dire quelques mots ? »

Pas de réponse. Je posais ma main sur la poignée, malgré l’inquiétude de ce qui pourrait arriver si jamais on me surprenait, et tentait de la faire jouer. A ma grande surprise, le penne joua et le panneau s’ouvrit. Je pénétrais dans une chambre joliment meublée mais visiblement inutilisée depuis longtemps. Quelques rayons de lune filtraient à travers les fenêtres dont les rideaux n’étaient pas tirés. Une couche de poussière grisâtre recouvrait le plancher ainsi qu’une petite coiffeuse au miroir ébréché et un vaste lit à baldaquin aux tentures passées. Pourtant, il flottait dans l’air une légère odeur de fumée, comme si une chandelle venait d’être soufflée.

Je restais un moment la main sur la poignée de porte, observant cette chambre inutilisée, incrédule. J’entrais finalement dans la pièce et l’examinais attentivement.  Mais les seules traces de pas sur le plancher, les seules marques d’une présence étaient les miennes.  Je ne comprenais rien. J’étais pourtant certain d’avoir trouvé la chambre de la fille des Von Barth ! J’avais même aperçu de la lumière sous la porte. »

 

Un petit extrait de quelque chose que je viens de reprendre. N’hésitez pas à commenter, critiquer, donner votre avis.