avril 3

Airain

« Le sommet du monde ! Un expérience inoubliable ! Vous en resterez soufflés ! Quelle blague !; pestait Neil ; Ils ont oublié de mentionner la neige, le froid et mon guide qui s’évapore au milieu de nulle part ! »

Le jeune homme tentait vainement de se repérer au milieu de se paysage blanc où ciel et terre se confondaient.

Il était parti aux premières lueurs de l’aube alors qu’une belle journée s’annonçait pour une expédition qui devait le conduire à la cime du Mont d’Airain. Un ami lui avait recommandé le voyage, lui qui voulait contempler la nature dans sa pure splendeur. Neil avait donc acquis le matériel nécessaire, contacté un guide réputé et s’était lancé.

Les premières heures avaient été rudes. Neil n’était pas particulièrement sportif mais misait sur sa détermination pour parvenir à son but. Il avait bien tenté d’engager la conversation avec son guide mais celui-ci s’était révélé plutôt taciturne, l’encourageant à garder son souffle pour la montée.

Après plusieurs heures de marche, les sapins qui environnaient le sentier s’étaient progressivement couverts de blanc alors que le ciel s’assombrissait. Bientôt, tout le paysage devint uniformément blanc, avec ça et là quelques affleurements rocheux recouverts de givre.

Le guide les arrêta dans un creux granitique le temps qu’ils se restaurent. Cette courte pause fut accueillie avec satisfaction par Neil dont la respiration s’approchait depuis un moment du bruit d’un soufflet de forge. Pourtant, le jeune homme ne se plaignait pas. Il essayait de suivre le rythme imposé par l’homme qui l’emmenait, prenant cette épreuve comme un défi, un challenge personnel.

Une fois que les deux hommes eurent déjeuné, ils reprirent leur marche.

« Nous devons accélérer si nous voulons atteindre le sommet avant la nuit. » lâcha le guide.

Neil acquiesça et aligna son pas sur celui de l’homme. De temps à autres, il jetait un œil aux alentours, cherchant les points de repère dont pouvait se servir celui qui ouvrait la marche pour les emmener dans la bonne direction.

Plusieurs heures passèrent à nouveau sans que les deux randonneurs n’échangent une parole. Le silence du monde qui les entourait était seulement peuplé du craquement de la neige dont la couche s’épaississait sous leurs pas.

Soudain, alors que le guide contournait un promontoire rocheux à demi enfoui, il disparut à la vue du jeune homme. Concentré sur sa progression, Neil n’y prêta pas attention sur l’instant. Ce n’est que lorsqu’il releva la tête un moment plus tard, ayant lui-même passé l’angle du monticule de pierre, qu’il s’aperçut que plus personne ne le précédait. Surpris, il regarda autour de lui, essayant de voir dans quelle anomalie du terrain son guide pouvait avoir disparu. Mais il ne vit rien. Plus aucune trace dans la neige au devant, pas un cri, pas un son, juste ce champ de neige parsemé de roches.

« Ohé ! » appela-t-il.

Seul l’écho de son propre cri lui répondit.

« Bergson ! Où êtes-vous ? »

Rien. Juste le silence.

Pendant plusieurs minutes, Neil ne sût que faire. Voilà qu’il se retrouvait seul, perdu au milieu de nulle part.

Une soudaine bourrasque de neige le décida. Il ne pouvait pas rester sur place indéfiniment. La plus sage décision était de rebrousser chemin en suivant ses propres traces. Avec un peu de chance, il pourrait rejoindre leur point de départ avant la nuit. Il ne devait pas traîner, d’autant que le ciel devenait de plus en plus menaçant.

Jetant un dernier regard vers le sommet et les alentours, il commença à revenir sur ses traces. Mais sa progression s’avéra plus difficile. La bourrasque qui l’avait décidé n’était que l’annonciatrice du changement de temps. Le ciel s’était complètement bouché et le vent s’était levé, emportant avec lui de nombreux flocons qui réduisaient progressivement la visibilité du jeune homme. Bientôt, il se trouva désorienté. Ses traces s’effaçaient rapidement à mesure que le blizzard les balayait. Les forces du jeune homme s’épuisaient rapidement tandis qu’il lutait contre les éléments. A bout de souffle, il se réfugia dans un creux de roche alors qu’il ne voyait pas à plus d’un mètre.

« Un cauchemar, c’est un cauchemar ! »murmura-t-il, frigorifié. « Je ne peux pas continuer. Je vais attendre que la neige s’arrête… »

Neil se pelotonna dans le creux du rocher pour se mettre à l’abri du vent et tenter de se réchauffer. Il perdit rapidement la notion du temps, le blizzard hurlant continuellement et battant la roche au dessus de lui. Gagné par la fatigue, le jeune homme dodelinait de la tête. Ses paupières devenaient lourdes et il avait du mal à rester éveillé. Bientôt, il sombra dans un sommeil agité.

Un crissement contre la roche le tira brutalement de sa torpeur. C’était une sorte de frottement métallique qui faisait résonner la pierre, un son qui n’avait rien de naturel. Neil ouvrit les yeux, essayant de voir d’où provenait ce bruit. Il constata que le vent s’était calmé mais que la neige tombait toujours. Le crissement se répéta, plus proche. Le jeune homme se remit sur ses pieds, scrutant le paysage qui l’entourait pour en deviner la provenance. Il se glissa à l’extérieur de son refuge alors que le son se faisait entendre une nouvelle fois, plus proche encore et plus inquiétant.

Debout dans la neige, Neil écarquillait les yeux. Une peur ancienne commençait à lui tordre les entrailles. Un craquement sur sa droite attira son attention. Une forme massive se dessinait à quelques mètres de lui. La roche crissa à nouveau et la couche neigeuse craqua sous le poids de quelque chose de très lourd alors que la forme indistinct se rapprochait. Le jeune homme vit luire deux éclats oranges tandis qu’un souffle chargé d’odeurs pestilentielles lui montait aux narines. Un rugissement semblant venir des profondeurs de l’enfer éclata.

Sans réfléchir, le jeune homme tourna le dos à la chose et se mit à courir pour s’en éloigner. La panique le gagnait. Il n’avait plus qu’une envie : quitter au plus vite cette montagne. Une forte secousse de la couche neigeuse informa le jeune homme que la chose se lançait à sa poursuite. Le sol tremblait sous ses pieds. L’horrible odeur était de plus en plus forte. Un crissement métallique bien plus proche lui fit dresser les cheveux sur la tête. Neil accéléra encore sa course. Il ne voyait pas où il allait, ne pensait à rien. Seule la perspective d’échapper à la chose le poussait.

Soudain, le sol se déroba sous ses pieds. Il se sentit chuter et hurla, imaginant sans peine les parois hérissés de roches qui interrompraient sa chute. Mai au denier instant, quelque chose agrippa son épaule, le maintenant au dessus du vide. Un son rauque se fit entendre, en même temps que le terrifiant crissement métallique. Les deux yeux orangés de la créature étincelèrent à un pas du jeune homme. Ce dernier se mit à hurler de plus belles alors que l’être le secouait en tous sens comme pour le faire taire. Neil vit une lourde patte prolongée de longues griffes se précipiter droit sur sa gorge et…

Le jeune homme s’éveilla en hurlant alors que quelqu’un le secouait par l’épaule.

« ça va, jeune homme ? Il ne faut pas traîner si nous voulons atteindre le sommet ce soir. »

Bergson, son guide, se tenait à coté de lui. Au dehors, les premières lueurs du jours éclairaient lentement la montagne, annonçant une belle journée.


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Ecrit 3 avril 2016 par Damian dans la catégorie "Essais

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