mai 2

La sylve

Le frémissement du feuillage tira Inou de son sommeil. Elle ouvrit ses grands yeux bruns, s’ébroua et bondit sur ses pattes, tous les sens aux aguets. Sous le clair de lune, la grande forêt bruissait de mille petits sons : hululements de chouettes, couinements de rongeurs, froissements de plumes et de feuilles. La brise portait également la trace olfactive de toute cette agitation ainsi qu’une odeur d’humus et de résine inhabituelle. La biche battit de ses longs cils, humant la fragrance portée par le vent avant de s’élancer entre les troncs et les buissons. Quelque chose l’appelait vers les profondeurs de la forêt.

En quelques bons rapides, Inou atteint une troué entre les arbres. Un vieux chêne majestueux occupait la partie nord de cette petite plaine herbeuse, déployant ses racines entre les bouquets de joncs et d’herbes folles. Une petite source glissait depuis son pied et venait former une mare brillante comme un miroir sous la lune argentée. La vue de l’eau fraîche attira la biche qui sentait la soif lui venir. Elle s’approcha de la mare d’un pas prudent, scrutant toujours les alentours. Lorsqu’elle fut suffisamment confiante, Inou pencha le cou et plongea le museau dans l’eau.

A cet instant, un morceau d’écorce du chêne se détacha du tronc et se déplia lentement. La biche releva le nez, intriguée mais sans pour autant s’effrayer. De l’arbre centenaire émergea bientôt une forme humanoïde aux membres longs et fins. Sa peau épousait les formes et l’apparence de l’écorce, ses yeux en amande étaient couleur d’ambre et sa chevelure était faite de lianes à la teinte d’agate.

« Peuple de la grande forêt, Chyloé vous dis bonsoir. » gazouilla la dryade en s’étirant.

La créature et la biche échangèrent un regard amicale puis cette dernière se remit à laper un peu d’eau. D’autres habitants du sous-bois s’approchaient, également attirés par la présence de la dryade. Il était rare que ces esprits de la nature s’éveillent. La plupart semblait avoir disparu de la terre, les zones forestières ayant été largement ravagées par les humains.

Lorsque Inou eut étanché sa soif, elle releva la tête pour observer plus longuement la créature sylvestre. Cette dernière s’était assise au bord de la mare, laissant la plante de ses pieds y tremper comme pour se rafraîchir. Elle rendit son regard à la biche puis ferma les yeux et offrit son visage aux rayons de lune. Inou se rapprocha alors de la dryade et vint glisser son museau près de l’épaule de la créature.

« Qu’as-tu à me raconter, belle Inou ? » lui lança cette dernière.

« Rien de plus que ce que le vent t’aura déjà rapporté, Chyloé. » répondit la biche.

« Harald n’est pas avec toi ? »

« Mon époux vit sa vie parmi les bois mais il n’est jamais très loin. »

L’esprit de la forêt et l’animal tournèrent alors leurs regards vers l’orée de la forêt. Un grand cerf blanc à la lourde ramure les observait entre les troncs. Il lâcha un paisible brame lorsqu’il vit les deux femmes le regarder puis reprit sa ronde aux abords de la trouée.

« En effet, il n’est jamais loin. Mais quel air sérieux il arbore toujours ! » dit la dryade.

« Ne te moque pas, Chyloé. Tu sais quelles responsabilités lui incombent. » la gourmanda Inou.

« Je sais, mon amie, je sais. Le gardien de la forêt doit assumer beaucoup de tâches. Conserve-t-il toujours cette forme ou se souvient-il comment en changer ? »

« Vois par toi-même. Harald, mon bel époux, cette facétieuse dryade se demande si tu sais toujours te transformer. » héla la biche.

Le grand cerf arrêta sa promenade entre les troncs et s’approcha de la clairière. Au fur et à mesure qu’il avançait, son apparence changeait. Lorsqu’il déboucha sur l’herbe, il n’était plus cerf. Devant les deux femmes se tenait maintenant un homme de haute stature, au torse couvert de mousse, aux yeux noirs étincelants et à la tête couronnée d’une impressionnante ramure argentée.

« Alors Chyloé ? » lança-t-il d’une voix de basse à la dryade.

« Je vois que tu n’as rien perdu de ta prestance, noble Harald. » répondit cette dernière en souriant.

La biche poussa l’esprit sylvestre du museau.

« Ne lui fais pas ton numéro de charme, Chyloé. »

« Ne t’inquiète pas, Inou. Je sais que le bel Harald n’a d’yeux que pour toi. »

Un éclat malicieux passa dans le regard de l’homme. Il prit son élan et franchit la petite mare d’un bond pour se retrouver à coté des deux femmes. Mais ce fut sous sa forme de cerf qu’il atterrit, venant affectueusement frotter son museau contre le cou de la biche et éclaboussant la dryade d’une petite ruade dans l’eau.

« Ah assez, les amoureux ! » dit cette dernière d’un air faussement vexé.

Elle se redressa, gratifia les deux cervidés d’une caresse sur leurs cous puis s’immergea dans l’eau telle une naïade. Harald et Inou s’éloignèrent alors, disparaissant dans les sous-bois et laissant la dryade à son bain.

Une fois le corps bien délassé, cette dernière ressortit de l’eau en secouant sa longue chevelure. Un humain passant par là l’eut-il aperçue qu’il l’aurait prise pour une nymphe sortant de la baignade. Sa peau couleur écorce avait pris une teinte d’ivoire rose et les lianes la couronnant s’étaient assombries. Les gouttes d’eau brillaient sous la lune, parsemant son corps de fragments d’étoiles étincelants. Une branche du vieux chêne s’inclina et fit descendre une tunique de joncs tressés vers l’esprit sylvestre. Cette dernière se saisit du vêtement et le passa sur son corps longiligne.

« Es-tu certaine de vouloir t’aventurer chez ces humains, Chyloé ? » Fit une voix de baryton en provenance du chêne.

« Oui, père. Je veux comprendre ce qui les pousse ainsi à maltraiter Mère Nature. »

« C’est qu’ils sont tout simplement mauvais ! Il n’y a pas à chercher plus loin ! »

« Je n’en suis pas convaincue, père. Laisse-moi faire à mon idée et lorsque je reviendrai, je te raconterai tout ce que j’ai appris. »

« Soit ! Mais sois très prudente, ma petite fille. Nous ne sommes plus très nombreux en ce monde. Tu vas t’aventurer chez les responsables de notre déclin. »

« Ne t’inquiète pas, père. Je passerai inaperçue sous cette apparence. »

« Je l’espère, ma fille. Je l’espère. »

La dryade ayant terminé de se vêtir fit une révérence au vieux chêne puis se détourna et s’engagea dans les sous-bois.

« Reviens-moi vite, Chyloé ; murmura le vieil arbre ; Le temps ronge déjà ton vieux père et ton absence va ne faire qu’accélérer les choses. Reviens-moi vite, toi le dernier esprit libre des forêts. »


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Ecrit 2 mai 2016 par Damian dans la catégorie "Essais

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