septembre 8

Les songes de l’arbre de Lune

Un soir lorsque je me ressourçais assis sur une racine de mon arbre, regardant les volutes de la mer de nuage se déployer, je vis venir une promeneuse. Son éclat rayonnant m’appris qu’elle n’était que de passage. Certainement une rêveuse plongée dans le sommeil. Mais comme les visiteurs se font rares, je la saluais aimablement. Elle avait le regard un peu perdu et, après un moment d’hésitation, me demanda l’hospitalité. Je lui demandais ce qu’elle pouvait offrir en retour mais elle me répondit qu’elle n’avait rien.
« Un voyageur a toujours quelque chose à offrir contre l’hospitalité. Une chanson, une histoire, ou une simple conversation en sont quelques exemples. »
« Je ne puis offrir que ma compagnie. Je ne connais ni histoire, ni chanson. »
« Alors, soit. Ma retraite est assez reculée en ce monde. Une simple compagnie est un fort bon prix. »
J’ouvris donc la porte de mon arbre à cette visiteuse pour lui permettre de se sustenter et de se reposer. Quelle bizarrerie que de vouloir dormir lorsque l’on rêve. Sans doute ses songes l’avaient-ils épuisée.
En entrant dans mon domaine, elle ouvrit des yeux ronds, époustouflée. Ma retraite hors du monde n’est pourtant que le creux d’un arbre argenté aménagé, rien de plus.
Ma visiteuse tournait son regard de tout cotés. Ses yeux brillaient, émerveillés.
« Quel est donc ce lieux ? »
« Le creux de l’arbre qui me sert de logis. »
« Un arbre ? Mais de quoi se nourrit-il ici ? »
« Des rayons de lumière qu’émet la lune. »
« Mais d’où vient l’eau dont il a besoin ? »
« Des larmes d’un cœur martyrisé. »
« Quelle étrangeté. Pouvez-vous m’en dire plus ? »
« Sur l’arbre ou sur le cœur ? »
« Sur l’ensemble. Tout cela parait si merveilleux. »
« Je veux bien vous enseigner son histoire mais vous l’oublierez aussitôt après. »
« Pourquoi cela ? »
« C’est ainsi que sont les choses ici-bas. »
« Quel monde bizarre. »
« C’est sa nature. Alors, alors. Cet arbre est ancien, très ancien, plus ancien quel le monde peut-être. Lorsqu’il était jeune, l’arbre avait un gardien. Une chimère veillait au pied de ses racines car on dit que l’arbre soutenait le monde. Hormis la protection de l’arbre, la chimère n’avait pas grand-chose à faire. Alors pour passer le temps, elle observait le monde réel : un monde si éloigné du sien qu’il semblait irréel. A cette époque, votre monde bouillonnait de vie. Il était jeune alors et ses habitants se développaient vite.
Un jour, la chimère vit passer la plus belle créature qu’elle avait jamais vue. Une magnifique princesse des temps jadis à la peau délicatement cuivrée par le soleil et aux yeux brillant d’un superbe éclat mauve. Subjugué, le gardien se tourna vers l’arbre et lui dit :
« Père, puis-je me rendre de l’autre coté du voile pour lier connaissance avec cette beauté ? »
« Le monde au-delà du voile est dangereux et cruel. » répondit l’âme de l’arbre. « Tu n’y serais pas à ta place. »
« Je n’ai pas peur, j’affronterai tous les dangers pour parvenir à ses cotés. »
« Fils, tu ne sais pas ce que tu dis. Ce monde n’est pas pour toi. Si tu pars, qui prendra soin de moi ? »
Mais la chimère n’écoutait déjà plus. D’un bon, elle plongea à travers la mer de nuages, piquant droit vers le sol. Sa descente était vertigineuse. Elle gagna rapidement de la vitesse et bientôt, elle déchira le voile du rêve et tomba droit vers le monde réel. Alors quelque chose qu’elle n’avait pas imaginé se produit. Son corps d’éther s’embrasa au contact de l’air. La chimère fut bientôt dévorée par les flammes. Elle se débâtait et s’agitait, tentant d’éteindre le feu qui la dévorait, mais sans succès.
Elle tomba tel un météore, droit vers le sol. L’impact fut terrible. Le choc déchira ses ailes. De son apparence, il ne restait pas grand-chose. Ce qui n’avait pas brulé avait été brisé par le choc contre la terre dure. Malgré cela, l’essence et la volonté de la chimère étaient intact. Rapidement, la créature compris qu’il lui faudrait une enveloppe pour pouvoir se mouvoir en ce monde. Elle entreprit alors de modeler une forme avec de la terre. Lorsqu’elle fut suffisamment à sa convenance, la chimère instilla son essence dans la forme. Puis, dotée d’une nouvelle enveloppe, elle se dirigea vers l’endroit où elle avait aperçue la princesse. Tout en marchant, elle découvrait tout ce qui faisait ce monde. Elle sentait l’air glisser sur son enveloppe de terre, le soleil chauffer progressivement cette forme et l’eau qu’elle contenait lentement s’évaporer. Elle découvrait les sons qui emplissaient l’air, les odeurs inconnues. Tout cela l’émerveillait et la fascinait.
Après une tranquille marche, la chimère parvint au bord d’une rivière où elle avait vu la princesse se délasser. La jeune femme était là, assise sur la berge, observant l’eau. La chimère voulu alors la saluer et lui confier son trouble. La princesse sursauta lorsqu’elle entendit l’étrange son que produit la gorge de terre de la chimère. Elle se retourna et la terreur s’empara d’elle. Elle bondit en arrière alors que la chimère tendait son bras vers elle. Mais elle était si proche du bord de la berge qu’elle perdit l’équilibre et bascula dans l’eau. La chimère se précipita pour l’aider. La jeune femme se débâtait pour rester à la surface mais le courant l’entrainait loin du bord. Elle poussait des cris de panique.
Alertés par les cris, un groupe d’hommes qui se trouvaient là l’aperçu. L’un d’eux plongea dans les eaux pour secourir la malheureuse. Ensuite, aidé par un autre qui lui tendait une longue perche, il aida la princesse à regagner la rive. Lorsqu’elle fut hors de danger, l’homme gourmanda la jeune femme pour son imprudence. Celle-ci pointa alors du doigt le point de la rive où se trouvait encore la chimère dans son enveloppe de terre qui regardait toute la scène. L’homme se redressa d’un coup et appela ses compagnons. Puis, se saisissant de lances, ils coururent droit vers la chimère. Ne comprenant pas ce qui se passait, celle-ci ne bougea pas. Elle ne réalisa le danger que lorsque la pointe d’une première lance lui perça le flanc. Alors, elle voulut se retourner et s’enfuir. Mais le groupe d’hommes l’encerclait déjà. Ils se mirent alors à la frapper, la lacérer de coups de lance, lui déchirer le corps. Un océan de douleur emplit l’essence de la créature. Enfin, l’homme qui avait secouru la princesse se dressa au dessus de la chimère et planta d’un coup sa lance droit dans la poitrine de la créature. Sous la violence de l’impact, le cœur immatériel de la chimère fût entaillé par le tranchant de l’arme. Un cri déchirant lui échappa et la créature tomba au sol, comme foudroyée. Le soleil se voila un moment et le temps s’arrêta. La chimère agonisait sur le sol, pleurant toute sa souffrance. Alors de longues racines argentés venues du ciel glissèrent à travers l’enveloppe de terre de la créature et enlacèrent délicatement son corps. Lentement elles l’élevèrent vers les cieux, passèrent le voile du rêve et ramenèrent l’essence de la chimère en son monde d’origine. La pauvre créature était tellement abimée que rien ne put lui rendre la force. Seul son cœur, bien que blessé, continuait de fonctionner. Quelques larmes d’éther perlaient de la blessure. Alors l’âme de l’arbre plaça ce cœur abimé dans un cocon dissimulé tout près de son centre. Et depuis ce jour, il veille sur ce cœur inconsolable sans pouvoir apaiser sa peine. Les larmes d’éther qui gouttent de ce cœur sont recyclées par l’arbre et le nourrissent. Mais elles apportent avec elles toute la tristesse de ce cœur meurtri. »
Je m’arrêtais alors de parler. Une larme discrète glissait sur la joue de ma visiteuse.
« En chacun des êtres qui peuplent votre monde subsiste un fragment de l’essence de la chimère. C’est pour cela que cette larme vous est venue. Maintenant reposez-vous. Demain vous aurez oublié. »
La promeneuse bâtit alors des yeux. Ses paupières s’alourdirent et son corps s’affaissa. Je la soulevai délicatement et l’installait sur un lit de plumes. Un rayon de lune passa sur son visage. Puis, lentement, elle se mit à s’effacer. Bientôt, il ne resta d’elle qu’une légère poussière d’or sur les plumes. Son corps avait terminé son repos. Elle avait regagné le monde réel. Et je me retrouvai seul, dans mon arbre de Lune, ma retraite dans le monde onirique.


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Ecrit 8 septembre 2013 par Damian dans la catégorie "Eclats d'âme

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