mai 29

Egérie

Oserais-je dire au monde votre douce beauté
Quand devant un miroir parfois vous vous mirez?
Cette si belle chevelure à la teinte cuivrée
Glissant sur votre nuque d’une gracieuse légèreté,

Ce malicieux regard couleur d’ambre brun
Flamboyant tel un astre lorsque la joie l’étreint,
Vos lèvres si charmante, délicates et fines,
Écloses comme un fruit mûr à la chair purpurine

Et votre peau de lys, légèrement satinée
Qu’à chaque mouvement je rêve de frôler.
Révèlerais-je aussi les courbes enjôleuses
Que cachent habillement vos toilettes charmeuses?

Je songe avec douceurs aux secrètes volutes
Qui habillent vos membres et cette tendre chute
De reins que dissimule tous vos atours de femmes
Pour mieux conquérir l’amant qu’ils désarment!

J’aimerais tant me faire bouchon de cette fiole
Déposant chaque jour une touche sur votre col
De cette exquise fragrance qui vous pare déjà
Comme la plus grande reine que cette terre porta.

Comme les perles liquide de ce précieux parfum,
Lentement je glisserais jusque sur votre sein.
Après avoir longuement baigné tout votre corps
Je viendrais effleurer votre précieux trésor.

Hélas, mille fois hélas, un destin bien retors
Nous prive l’un de l’autre, absurde coup du sort!
Jamais nous ne pourrons même un souffle partager:
Vous êtes si vivante, moi une ombre esquissée.

mai 23

Le collectionneur

Le club était noyé dans l’obscurité que perçaient ça et là les néons carmins cerclant les tables. De temps à autres, les stroboscopes jetaient leur lumière éclatante sur la foule s’agitant sur la piste de danse. De puissantes basses projetaient leur son sur la salle sans pour autant assourdir les danseurs, ni les clients rassemblés au bar.

Assis à une table à quelques pas de la piste, Ronan observait les corps se trémousser. Ses yeux étincelaient parfois d’un éclat rubis derrière le verre teinté de ses lunettes. Il avait depuis un moment jeté son dévolu sur une belle brune aux longs cheveux lisses glissée dans une robe courte épousant délicatement ses courbes. La belle dansait avec un relâchement et une sensualité fascinante, ce qui lui valait de nombreux regards de la part des hommes présents ce soir-là. Mais, comme à son habitude, Ronan les laisserait saliver un moment avant de s’emparer de l’objet de sa convoitise sous leurs yeux envieux.

Il admira encore un moment le ballet faussement subtil de ces affamés cherchant à se rapprocher de sa proie puis se redressa de toute sa hauteur avant de fendre la foule en direction de la jeune femme. Il se plaça à deux pas d’elle et se mit alors à onduler en rythme, alignant ses mouvement sur ceux de la belle. Cette dernière lui jeta à peine un regard mais il surprit l’ébauche d’un sourire au coin de ses lèvres. Après quelques minutes, les autres candidats intéressés par la jolie brune se détournèrent, voyant leurs chances disparaître avec l’arrivée de l’homme. Il faut dire que Ronan avait plutôt belle apparence : ses boucles châtain coupées courtes encadraient son visage plutôt pâle d’un halo doré contrebalancé par l’éclat de ses yeux gris. Son corps musclé et souple habillé d’une chemise sombre et d’un jean noir moulant ne laissait personne indifférent.

Ronan prolongea son jeu avec la brune pendant plusieurs minutes puis, profitant d’une accalmie musicale, il demanda à sa cavalière si elle ne souhaitait pas boire un verre.

« J’ai cru que vous n’alliez jamais le demander ! » Lui glissa-t-elle à l’oreille.

Puis elle se dirigea vers le bar, l’homme dans son sillage.

« Deux Bloody Kisses ! » lança-t-elle au barman avant de se retourner vers Ronan.

« Vous occultez la présence de n’importe qui d’autre lorsque vous dansez, mademoiselle. »

« Maëlle ; se présenta la jeune femme ; Merci vous n’êtes pas mal non plus. »

« Ronan. » Dit l’homme en lui prenant délicatement la main.

La jolie brune le laissa faire avant de la retirer doucement.

« Enchantée, Ronan. Vous venez souvent ici ? »

« Cela m’arrive de temps à autres, oui. Mais jamais en aussi charmante compagnie. »

« Est-ce que vous essayeriez de me faire du charme, Ronan ? »

« Qui n’essayerait pas avec une aussi jolie femme ? »

L’homme surprit un autre sourire fugace sur les lèvres de la jeune femme, lui confirmant qu’il avait toutes ses chances. Leur conversation dura un moment, échange de banalités et de tentatives d’approches plus ou moins subtiles, avant que Ronan ne demande :

« Ce club est vraiment trop bruyant. Cela vous dirait d’aller prendre un verre dans un endroit plus calme ? »

La jolie brune acquiesça.

« Je vous suis. C’est vrai qu’on ne s’entend pas, ici. »

Les jeunes gens passèrent récupérer leurs manteaux au vestiaire puis se retrouvèrent dehors. Maëlle passa alors son bras sous celui de Ronan et demanda d’un ton innocent :

« Nous allons chez toi ou chez moi ? »

« Qu’est-ce que tu préfères, ma belle ? »

« J’aime bien découvrir une personne grâce à l’intérieur de son logement. »

« Alors ça sera chez moi. »dit l’homme.

Un quart d’heure plus tard, ils étaient tous deux serrés l’un contre l’autre dans l’ascenseur de l’immeuble, leurs mains commençant à explorer leurs corps alors que leur bouches se soudaient l’une à l’autre de plus en plus souvent. Un mouvement coordonné de leur part referma la porte de l’appartement de l’homme alors que leurs vêtements commençaient à se détacher de leurs corps comme s’ils avaient une vie propre. Lorsqu’ils atteignirent le lit, il ne leur restait qu’un caleçon pour lui et un tanga de dentelles pour elle. Ils se jetèrent alors l’un sur l’autre sans aucune retenue, s’enlaçant, se pétrissant et se mordillant pour mieux embraser encore leur désir commun. Ronan laissa ses doigts et sa langue explorer tout le corps de sa partenaire en la dévorant des yeux. Maëlle ne fut pas en restes, parcourant elle aussi la peau de l’homme avec ses ongles, ses lèvres et toute l’imagination que pouvait avoir ses gestes. Leurs étreintes enflammées les menèrent à plusieurs reprises vers l’extase avant qu’ils ne s’écroulent, leurs membres et leurs corps mêlés, épuisés mais satisfaits.

Lorsqu’il commença à entendre le souffle de la jeune femme devenir plus régulier, Ronan rapprocha son visage du creux du cou de cette dernière et retroussa les lèvres. Un rayon de lune fit étinceler ses crocs à l’instant où ils perçaient la peau douce et parfumée. Les paupières de la jolie brune battirent mais le vampire l’enlaça plus solidement, l’empêchant de se débattre sans pour autant risquer de la blesser. Il tenait à conserver une certaine douceur ainsi qu’une forme de sensualité dans l’acte de se nourrir. Il ne déchirait ni n’abîmait jamais le corps de sa proie, à la différence de certaines goules qu’il avait croisé.

Emprisonnée dans son étreinte, Maëlle s’agitait un peu mais ses forces faiblissaient à mesure que lui s’abreuvait de son sang doucereux. Ronan entendait le cœur de la jolie brune ralentir petit à petit alors que la vie diminuait en elle.

« Ne me tue pas, pitié. »Murmura-t-elle en tournant son regard noisette vers les yeux gris de l’homme.

Allez savoir pourquoi, le vampire en fut touché. Il relâcha un instant sa prise et demanda :

« Que m’offres-tu pour ta vie ? »

« Je n’ai rien à t’offrir que moi… » répondit la jolie brune dont le regard s’éteignait.

« Alors, je t’ai déjà tout pris, jolie fleur… » dit Ronan avec douceur.

Puis il enlaça plus tendrement la jolie Maëlle, la berçant entre ses bras alors que les derniers signes de vie la quittaient.

Lorsque sa flamme se fut totalement éteinte, le vampire ramassa leurs vêtements, rhabilla la jeune femme et repassa les siens avant de soulever le corps inerte comme s’il s’agissait d’une simple dormeuse et quitta l’appartement qu’il s’était approprié pour l’occasion. Il regagna sa tanière quelque part dans un sous-sol oublié et plaça la dépouille de la belle dans un aquarium de verre où il versa une substance cristalline. Une fois que la substance se serait solidifié, la belle défunte irait en rejoindre d’autres dans la collection personnelle de Ronan, conservée dans sa beauté et sa fraîcheur pour l’éternité.

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mai 23

Chronoprisonnier

Elfes évanescentes, princesses des temps anciens,
Silhouettes entraperçues dans un mouvement subtile;
Demoiselles passantes sous des regards fébriles
Qui firent battre mon cœur d’un élan souverain

Aujourd’hui n’êtes plus que souvenirs perdus.
Spectres d’ombre, fumées et brumes vaporeuses
Avalées par le Temps et sa course furieuse,
De nos histoires ne restent que mon amour déchu.

Le Monstre jamais repu sur moi n’a pas de prise
Hormis de m’infliger d’innombrables blessures.
Il torture mon âme, la malmène, la fissure,
Maintenant sa pressions jusqu’à ce qu’elle se brise.

Sur bien des éons, il en jette les fragments,
Me plaçant en témoin d’une fuite inexorable:
Celle de son appétit, féroce et redoutable
Qui conduit toute vie vers ses derniers instants.

Dans mes veines, il répand son funeste poison,
Envahit mon esprit de son sinistre glas,
Fiche dans mon pauvre cœur de la peine chaque éclat
Que ravivent les flots d’anciennes émotions.

Pleure mon âme de tant de passions oubliées,
Coulent les larmes huileuses, regrets, incertitudes;
Tout mon être s’étiole, pétrit de solitude,
N’étant jamais perçu qu’en triste passager.

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mai 11

Adras

Dans les ruines oubliées d’un monde moribond
gisait l’obscure dépouille d’une créature honnie:
un traverseur de voiles porteur d’infamie
qui ébranla les Songes en fendant l’horizon.

Malgré sa toute puissance et son halo d’effroi,
le monstre fut vaincu, brisé par quelques mots.
Sur son corps déchiré, on apposa un sceau
effaçant ses pouvoirs, annihilant ses droits.

Puis on le fit renaître pour expier ses fautes.
Pour mieux le contrôler, on lui greffa un coeur,
une âme pleine de pureté, siège de mille douleurs,
une enveloppe de chair pour lui servir d’hôte.

On lui prêta le don d’une longue existence
dans un monde encore jeune d’un vibrant avenir.
De combien de manières, las, on le vit souffrir
emporté par la fougue de ses tout nouveaux sens.

Mille blessures, mille mort habillaient son destin,
rongeant son coeur de verre et son âme délicate.
L’une en particulier, insidieuse, sans hâte,
fendit le réceptacle sous le poids du chagrin.

La créature sombra dans une lente agonie,
laissée seul en un coin du monde reculé.
Les fragments de son coeur furent éparpillés,
son nom, son existence furent livrées à l’oubli.

La dernière nuit de lune en ce monde finissant
vit descendre des cieux un ange de lumière.
Dans la carcasse putride remit les bris de verre,
les ressoudant ensemble d’un pleur compatissant.

« Roi des ruines tu étais et tu subis mille peines.
Aujourd’hui tu n’es plus qu’un être ignoré.
De ma main je t’apaise, répare ton coeur brisé
car jusqu’à la lie tu as bue toute ta haine. »

Ainsi parla l’Elue au sinistre cadavre,
lui rendant enfin droit à une vie paisible.
D’un baiser elle scella son pardon invisible
avant d’emporter l’être vers son éternel havre.

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mai 2

La sylve

Le frémissement du feuillage tira Inou de son sommeil. Elle ouvrit ses grands yeux bruns, s’ébroua et bondit sur ses pattes, tous les sens aux aguets. Sous le clair de lune, la grande forêt bruissait de mille petits sons : hululements de chouettes, couinements de rongeurs, froissements de plumes et de feuilles. La brise portait également la trace olfactive de toute cette agitation ainsi qu’une odeur d’humus et de résine inhabituelle. La biche battit de ses longs cils, humant la fragrance portée par le vent avant de s’élancer entre les troncs et les buissons. Quelque chose l’appelait vers les profondeurs de la forêt.

En quelques bons rapides, Inou atteint une troué entre les arbres. Un vieux chêne majestueux occupait la partie nord de cette petite plaine herbeuse, déployant ses racines entre les bouquets de joncs et d’herbes folles. Une petite source glissait depuis son pied et venait former une mare brillante comme un miroir sous la lune argentée. La vue de l’eau fraîche attira la biche qui sentait la soif lui venir. Elle s’approcha de la mare d’un pas prudent, scrutant toujours les alentours. Lorsqu’elle fut suffisamment confiante, Inou pencha le cou et plongea le museau dans l’eau.

A cet instant, un morceau d’écorce du chêne se détacha du tronc et se déplia lentement. La biche releva le nez, intriguée mais sans pour autant s’effrayer. De l’arbre centenaire émergea bientôt une forme humanoïde aux membres longs et fins. Sa peau épousait les formes et l’apparence de l’écorce, ses yeux en amande étaient couleur d’ambre et sa chevelure était faite de lianes à la teinte d’agate.

« Peuple de la grande forêt, Chyloé vous dis bonsoir. » gazouilla la dryade en s’étirant.

La créature et la biche échangèrent un regard amicale puis cette dernière se remit à laper un peu d’eau. D’autres habitants du sous-bois s’approchaient, également attirés par la présence de la dryade. Il était rare que ces esprits de la nature s’éveillent. La plupart semblait avoir disparu de la terre, les zones forestières ayant été largement ravagées par les humains.

Lorsque Inou eut étanché sa soif, elle releva la tête pour observer plus longuement la créature sylvestre. Cette dernière s’était assise au bord de la mare, laissant la plante de ses pieds y tremper comme pour se rafraîchir. Elle rendit son regard à la biche puis ferma les yeux et offrit son visage aux rayons de lune. Inou se rapprocha alors de la dryade et vint glisser son museau près de l’épaule de la créature.

« Qu’as-tu à me raconter, belle Inou ? » lui lança cette dernière.

« Rien de plus que ce que le vent t’aura déjà rapporté, Chyloé. » répondit la biche.

« Harald n’est pas avec toi ? »

« Mon époux vit sa vie parmi les bois mais il n’est jamais très loin. »

L’esprit de la forêt et l’animal tournèrent alors leurs regards vers l’orée de la forêt. Un grand cerf blanc à la lourde ramure les observait entre les troncs. Il lâcha un paisible brame lorsqu’il vit les deux femmes le regarder puis reprit sa ronde aux abords de la trouée.

« En effet, il n’est jamais loin. Mais quel air sérieux il arbore toujours ! » dit la dryade.

« Ne te moque pas, Chyloé. Tu sais quelles responsabilités lui incombent. » la gourmanda Inou.

« Je sais, mon amie, je sais. Le gardien de la forêt doit assumer beaucoup de tâches. Conserve-t-il toujours cette forme ou se souvient-il comment en changer ? »

« Vois par toi-même. Harald, mon bel époux, cette facétieuse dryade se demande si tu sais toujours te transformer. » héla la biche.

Le grand cerf arrêta sa promenade entre les troncs et s’approcha de la clairière. Au fur et à mesure qu’il avançait, son apparence changeait. Lorsqu’il déboucha sur l’herbe, il n’était plus cerf. Devant les deux femmes se tenait maintenant un homme de haute stature, au torse couvert de mousse, aux yeux noirs étincelants et à la tête couronnée d’une impressionnante ramure argentée.

« Alors Chyloé ? » lança-t-il d’une voix de basse à la dryade.

« Je vois que tu n’as rien perdu de ta prestance, noble Harald. » répondit cette dernière en souriant.

La biche poussa l’esprit sylvestre du museau.

« Ne lui fais pas ton numéro de charme, Chyloé. »

« Ne t’inquiète pas, Inou. Je sais que le bel Harald n’a d’yeux que pour toi. »

Un éclat malicieux passa dans le regard de l’homme. Il prit son élan et franchit la petite mare d’un bond pour se retrouver à coté des deux femmes. Mais ce fut sous sa forme de cerf qu’il atterrit, venant affectueusement frotter son museau contre le cou de la biche et éclaboussant la dryade d’une petite ruade dans l’eau.

« Ah assez, les amoureux ! » dit cette dernière d’un air faussement vexé.

Elle se redressa, gratifia les deux cervidés d’une caresse sur leurs cous puis s’immergea dans l’eau telle une naïade. Harald et Inou s’éloignèrent alors, disparaissant dans les sous-bois et laissant la dryade à son bain.

Une fois le corps bien délassé, cette dernière ressortit de l’eau en secouant sa longue chevelure. Un humain passant par là l’eut-il aperçue qu’il l’aurait prise pour une nymphe sortant de la baignade. Sa peau couleur écorce avait pris une teinte d’ivoire rose et les lianes la couronnant s’étaient assombries. Les gouttes d’eau brillaient sous la lune, parsemant son corps de fragments d’étoiles étincelants. Une branche du vieux chêne s’inclina et fit descendre une tunique de joncs tressés vers l’esprit sylvestre. Cette dernière se saisit du vêtement et le passa sur son corps longiligne.

« Es-tu certaine de vouloir t’aventurer chez ces humains, Chyloé ? » Fit une voix de baryton en provenance du chêne.

« Oui, père. Je veux comprendre ce qui les pousse ainsi à maltraiter Mère Nature. »

« C’est qu’ils sont tout simplement mauvais ! Il n’y a pas à chercher plus loin ! »

« Je n’en suis pas convaincue, père. Laisse-moi faire à mon idée et lorsque je reviendrai, je te raconterai tout ce que j’ai appris. »

« Soit ! Mais sois très prudente, ma petite fille. Nous ne sommes plus très nombreux en ce monde. Tu vas t’aventurer chez les responsables de notre déclin. »

« Ne t’inquiète pas, père. Je passerai inaperçue sous cette apparence. »

« Je l’espère, ma fille. Je l’espère. »

La dryade ayant terminé de se vêtir fit une révérence au vieux chêne puis se détourna et s’engagea dans les sous-bois.

« Reviens-moi vite, Chyloé ; murmura le vieil arbre ; Le temps ronge déjà ton vieux père et ton absence va ne faire qu’accélérer les choses. Reviens-moi vite, toi le dernier esprit libre des forêts. »

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avril 29

Typhon

Fragments vibrants, s’entrechoquant,
Perdant leur fragile cohérence.
Ici, ailleurs dans l’espace-temps,
Bouleversements de l’existence.

Ère incertaine, en mouvements
Sortant d’une longue léthargie
En un périlleux foisonnement
De mille émotions, l’homme frémit.

Lumière et ombre, tout se succède,
De haut en bas courbant l’esprit.
Le pseudo calme qui précède
Annonce une tempête infinie.

Danse sur le fil de ta vie!
Essai de ne pas craindre l’onde,
Celle qui résonne et t’étourdit
Quand nuit et jour se confondent.

Tel un instrument déréglé,
Tu captes trop de sensations.
Au point de t’en faire saturer
Et de t’y perdre pour de bon.

Accroches-toi à tes piliers
Qui te soutiennent et te structurent.
Laisse la déferlante passer.
Ne restera que ce qui dure.

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avril 20

Korrigans

Timothée s’éveilla dès l’aube tant il était excité, ce jour-là. En effet, l’oncle Boniface l’avait autorisé à laisser ses corvées de côté pour partir à la cueillette des champignons. Le hameau Saint Nicolas s’éveillait encore alors que le jeune garçon s’élançait déjà. Sa houppelande nouée en hâte flottait derrière lui et ses godillots frappaient avec allant la terre du chemin. En arrivant à la lisière du bois des Esseres, il ralentit pourtant le pas. Le calme et la majesté des hautes frondaisons l’intimidaient toujours un peu.

« Bonne Mère, veillez sur nous le long du chemin. »murmura-t-il en son fort intérieur.

Sur cette muette prière, il s’engagea sous les ramures, commençant à scruter les environs. Le jeune garçon tentait de deviner les petits dômes blancs ou bruns dissimulés au pied des grands arbres. Tout à sa recherche, il s’enfonçait de plus en plus loin dans les bois, s’écartant du chemin pour augmenter ses chances de trouver un bon coin à champignons. Au dessus de lui les oiseaux sautillaient en pépiant d’une branche à l’autre, les écureuils bondissaient tels des éclairs roux dans l’épais feuillage. La forêt s’animait lentement à mesure que le jour filtrait entre les frondaisons.

Au détour d’un fourré touffu, Timothée découvrit une vaste clairière parsemée de petits dômes couleur ivoire. Se jetant à genoux dans l’herbe rosée, il commença sa cueillette, enchanté de sa trouvaille. Son panier se garnissait rapidement et le jeune garçon salivait déjà en songeant aux délicieux plats qu’ils allaient préparer quand il aperçut à la limite de la clairière un gros bolet doré dans un cercle de plus petits champignons. Un éclair de gourmandise s’alluma dans son regard. Le petit se remit sur ses pieds et s’avança droit vers le cercle.

A l’instant où il franchissait l’anneau de dômes blancs encerclant le bolet, l’atmosphère du bois environnant changea : les oiseaux se turent, la lumière prit une teinte bleu sombre, les arbres se déformèrent, se courbant et s’entortillant pour former une masse plus dense. Un ricanement retentit, venu d’une branche basse à quelques pas du jeune garçon.

« Eh bien, qui voilà dans notre forêt ? » questionna une voix nasillarde.

Timothée eut un mouvement de surprise puis répondit :

« Je m’appelle Timothée. Je suis venu cueillir des champignons. »

« Et qui t’en a donné l’autorisation ? »

« Mon oncle Boniface. »

Un grand rire résonna sur les troncs distordus des alentours.

« Ton oncle Boniface ? Et quelle autorité a-t-il dans cette forêt ? »

Devant le silence du petit, la voix reprit :

« C’est bien ce qu’il me semblait ! Il n’en a aucune. Et pourtant, tu t’aventures chez nous et viens nous voler. Ce n’est pas très aimable, petit humain. »

A cet instant, une étrange créature, de la taille d’un enfant mais dotée de longs bras et jambes, se laissa tomber sur le sol.

« Méandrus Ternevent, pour ne pas te servir ! Maintenant que te voilà chez nous, il va te falloir laisser une compensation si tu veux repartir… »

« Un gnome ! Vous êtes un gnome ! » s’exclama Timothée en écarquillant les yeux.

« Pfft ! Gnome, lutin, korrigan, halfeling… Vous, les humains êtes si prompt à nommer les choses… »

Ternevent sautilla, fit une roue puis s’empara du panier que tenait le jeune garçon.

« Voyons voir ça… Mazette, quelle récolte ! Que comptes-tu faire avec tout ça ? »

« C’est pour agrémenter les plats du dimanche. » répondit le petit, vaguement inquiet.

Le gnome lui lança un regard perçant avant d’éclater d’un rire sardonique.

« Et que crois-tu que cela va te coûter ? »

« Je peux vous en laisser la moitié, si vous voulez. »

« Penses-tu que tu peux payer avec ce que tu as volé ? » fit Ternevent avec un sourire mauvais.

« Que voulez-vous en échange ? » demanda Timothée, de moins en mois rassuré.

« Ahahah ! Je te propose un jeu. Trouves la réponse à une énigme et je te laisse partir. Échoues et tu restes avec moi… »

Un frisson parcourut l’échine du jeune garçon. Il avait entendu plusieurs fois ce genre de contes à la veillée, ceux ou un humain croisait le chemin du petit peuple des forêt. Cela se terminait rarement bien. Malgré tout, il n’avait pas beaucoup de choix. S’il voulait rentrer chez lui, il devait relever le défi du gnome.

« D’accord. » accepta-t-il.

Ternevent fit alors une cabriole qui le vit atterrir sur le chapeau du bolet doré.

« Très bien, très bien… Mais attention, garçon ! Qui se dédit de sa parole en subira les conséquences ! »

Le korrigan croisa les jambes et se mit à se frotter le menton sans quitter le petit des yeux.

« Voyons, voyons… Le matin d’orient, doré comme un bon pain, le soir en occident, mon cœur se fait carmin. Qui suis-je ? »

Déconcerté par l’énigme, Timothée réfléchit quelques instants. Il n’avait pas l’habitude de jouer à ce genre de jeu. L’un de ses frères y serait bien plus doué.

« Alors ? » s’impatienta Ternevent.

« Laissez-moi une minute… Je connais la réponse. »

« Décide-toi vite, petit humain. Mes amis vont bientôt arriver. Et ils ne sont pas aussi indulgents que moi ! »

De moins en moins rassuré, Timothée se rapprocha de son panier tout en se glissant vers le bord du cerce de champignons. Le gnome l’observait du coin de l’œil en ricanant. Dans le fouillis de branches et de buissons alentours, des bruits et des ricanements commençaient à se faire entendre. Soudain, Ternevent bondit vers le jeune garçon.

« Tu crois que je ne vois pas ce que tu essais de faire ? Tu n’as pas répondu à ma devinette, alors maintenant tu es à moi ! » glapit-il en tentant d’attraper Timothée par la manche. Ce dernier fit un pas de coté, frôlant la limite du cercle et dit :

« Je n’ai pas encore donné de réponse… »

« Trop tard !; fit l’autre ; la lune va bientôt se lever. Cela signifie que tu es coincé ici ! »

Le jeune garçon frémit avant qu’une lumière de compréhension ne vienne éclairer son visage.

« Je sais ! C’est le soleil ! »

Ternevent qui allait le happer, s’arrêta. Un méchant sourire tordait son visage.

« Tu n’es pas aussi bête que tu le parais. Soit, tu as trouvé la réponse mais tu vas quand même rester ici… »

« Ah ça non ! » cria Timothée.

Et aussitôt, il fit un pas en arrière, sortant de l’anneau de petits dômes blancs. Alors, la forêt autour de lui reprit son apparence initiale, à une différence près : le jour tombait déjà. Empoignant son panier, le jeune garçon se mit à courir à travers les sous bois, cherchant le chemin qui l’avait mené là. Derrière lui, il entendit la voix de Ternevent et son ricanement sinistre :

« Tu nous échappes pour cette fois, mais tu reviendras ! Et alors, nous te tiendrons pour de bon. »

Après quelques minutes, le petit retrouva la terre de la route et fila à toute allure jusque chez lui. Il entendait encore le rire sardonique du korrigan résonner à ses oreilles ainsi que le bruit de ses pieds faisant des cabrioles.

Cette étrange journée et son souvenir peuplèrent pour un temps ses cauchemars et le poursuivirent longtemps, bien après qu’il fut devenu adulte et qu’il eut lui-même des enfants. Lorsque ceux-ci s’aventuraient dans la forêt, Timothée les mettait en garde :

« Ne vous écartez pas du chemin ! Et si vous voyez des champignons en cercle, courrez dans l’autre direction ! »

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avril 10

Dédale

Li Gya fut tirée de son sommeil par la première suivante de l’impératrice.

« Debout, Li Gya ! Le conseillé Zhu a expressément demandé après toi ! Ne le fait pas attendre ! »

« Zhu ? Qu’est-ce qu’il veut à une heure pareille, ce vieux bouc ? » demanda la jeune femme d’une voix ensommeillée.

« Quelle importance ? Notre maîtresse n’appréciera pas si elle apprend que tu ne respectes pas les conseillés de l’Empereur. »

« Et qui lui dira ? »

La première suivante repoussa alors les draps couvrant Li Gya et secoua la jeune femme de plus belle. Après quelques secondes, cette dernière s’avoua vaincue et s’extirpa de son lit.

« C’est bon, c’est bon ! J’y vais ! » maugréa-t-elle.

Se redressant, elle attrapa un peignoir de lin qu’elle passa par dessus sa tunique avant de se diriger vers l’antichambre de l’aile réservée aux suivantes de l’impératrice. Dans la pièce l’attendait un homme âgé richement vêtu et donnant l’impression d’une certaine nonchalance. Mais Li Gya savait ne pas devoir se fier à cette apparence. Sous ses airs de hibou ahuri, Zhu était un vieux renard, très fort pour manipuler son monde.

« Li Gya, quel plaisir de te voir ! » commença l’homme d’une voix joviale.

« Monsieur Zhu, c’est un honneur de vous recevoir. » répondit la jeune femme en tenant son rôle de dupe.

Elle s’inclina lentement, sentant le regard de l’homme se glisser dans l’échancrure de son peignoir pour profiter de la vue. En se relevant, elle tira discrètement sur un pan de sa tenue pour la resserrer ; rien ne l’obligeait à laisser l’autre se rincer l’œil. Se rappelant à ses devoirs d’hôtesse, elle invita le conseillé Zhu à s’asseoir devant la petite table installée au centre de la pièce avant de s’agenouiller à son tour sur le coté droit du meuble.

« Notre chère impératrice, ta maîtresse t’a recommandée à moi pour une mission de grande importance ; poursuivit Zhu ; Elle a venté ta pureté et ton dévouement à l’Empire en des termes très élogieux. »

La teneur du discours du conseillé mis la jeune femme en alerte ; personne n’était sans savoir que l’impératrice avait une très mauvaise opinion de ses dames de compagnie et en les tolérait que pour affirmer son rang. Elle les soupçonnait toutes d’avoir des vues sur l’Empereur et de vouloir usurper sa place auprès de lui. Aussi, de telles paroles ne pouvaient que cacher quelque chose. Ne laissant rien paraître, la jeune femme prit une mine appropriée et laissa son interlocuteur continuer.

« Tu n’es pas sans savoir que c’est bientôt l’anniversaire de notre lumineux souverain. Aussi sa douce compagne souhaite-t-elle lui offrir un présent digne de lui. C’est pour obtenir ce présent que j’ai besoin de tes services… »

« Puis-je vous demander, monsieur Zhu, en quoi une humble suivante peut être utile à un tel projet ? »

« Le présent choisi appartenait au père de notre glorieux Empereur. Pour nous le procurer, il nous faut donc pénétrer dans le mausolée du défunt. Seule une âme pure de toute souillure peut s’y rendre sans crainte. C’est en cela que tu nous es utile, petite colombe. »

La surprise puis la crainte glissèrent fugacement sur le visage de Li Gya. Ainsi, c’était pour violer la tombe du Premier Empereur que Zhu était venue la chercher. Bien que ne se sachant pas tout à fait aussi pure que ce que disaient les bruits de palais, la jeune femme ne pouvait refuser. Si elle révélait qu’elle n’était plus vierge, c’était la disgrâce pour elle et toute sa famille. Il en allait de même si elle tentait de fuir ou de se soustraire à cette mission. L’impératrice avait bien manigancé son coup pour se débarrasser d’une potentielle rivale.

« Pour conserver la surprise et ménager les susceptibilités, nous devons partir dès ce soir. Vas t’habiller, Li Gya ;je t’attends ici. »

Le ton de l’homme, bien que badin, était sans équivoque. Aussi la jeune femme se leva lentement et prit la direction de sa chambre. Elle ne doutait pas que si elle faisait le moindre geste inconsidéré, les gardes escortant le conseillé Zhu se chargeraient de l’emmener contre son gré. Aussi décida-t-elle de se donner du temps pour trouver une issue. Parvenue à sa chambre, elle ôta son peignoir et sa fine tunique pour passer des vêtements plus appropriés. Elle enfila une solide chemise de serge ainsi que des pantalons de lin avant de réunir ses longs cheveux en tresse et de passer des souliers à semelle de paille. Ne souhaitant pas partir les mains vides, elle glissa à sa ceinture un petit couteau en bronze pour parer à certaines éventualités. La jeune femme reprit ensuite le chemin de l’antichambre où elle retrouva Zhu qui l’attendait, entouré de ses gardes du corps.

« Parfait. Tu es aussi serviable que l’a décrit notre chère impératrice. Ne perdons pas de temps, allons-y. »

A ce signal, l’un des gardes la prit par le bras et la conduisit à l’extérieur où une chaise à baldaquin attendait le conseillé. Celui-ci grimpa à l’intérieur et la petite troupe se mit en route, deux homme encadrant Li Gya qui marchait derrière.

Arrivé à proximité de la tombe, on fournit à Li Gya une petite lampe à huile, ainsi qu’un silex, deux outres, l’une d’eau, l’autre d’huile ainsi qu’une bourse en soie pour y glisser le cadeau une fois celui-ci en sa possession. Deux hommes soulevèrent alors une petite dalle ouvrant sur un puits d’aération par lequel ils firent descendre la jeune femme au moyen d’une corde.

« Tu trouveras l’anneau du Premier Empereur dans l’un des vase près de sa dépouille. C’est cela que tu dois ramener. Fais vite !» lui lança Zhu avant qu’elle ne disparaisse dans le boyau.

Li Gya progressait depuis plusieurs minutes dans une enfilade de couloirs exiguës. A plusieurs mètres sous terre, la chaleur était étouffante. La faible lumière de la lampe à huile n’éclairait pas au delà de quelques pas, rendant l’avancée de la jeune femme hasardeuse. En effet, elle n’était pas sans savoir que la tombe était truffée de pièges, ceci afin de dissuader les pillards.

De temps à autres, elle passait une intersection et devait s’en remettre à son instinct pour choisir une direction. A n’en pas douter, cette succession de couloirs constituait un dédale. Aussi Li Gya essayait-elle de mémoriser le chemin qu’elle avait emprunté jusque là. Mais l’étroitesse de certains passages et l’atmosphère pesante de la masse de terre l’environnant rendaient les choses difficiles. Elle sentait une certaine angoisse l’envahir insidieusement à mesure que le temps défilait dans ce dédale infernal. Parfois, elle croyait voir apparaître le spectre du Premier Empereur ou de l’un des membres de sa fidèle armée d’argile au détour d’un boyau. L’idée que cet être terrifiant ou l’un de ses séides puisse déambuler dans ce labyrinthe à la recherche d’une proie lui glaçait le sang. Se sachant livrée à elle-même dans une tombe ou personne ne viendrait jamais la chercher, la jeune femme voyait sa détermination lentement rongée par la peur. Elle jetait de plus en plus souvent un regard par dessus son épaule, persuadée d’avoir entendu un bruit de pas ou un grattement contre les murs de terre.

Un grincement soudain sous son pied la fit bondir en arrière avant de se plaquer au sol. Au dessus de sa tête, elle entendit siffler plusieurs projectiles qui, s’ils l’avaient touchée, auraient aussitôt mis fin à sa progression de très sinistre façon.

« Prudence, Li Gya ! » se morigéna-t-elle.

Malgré la peur et l’angoisse, la jeune femme redoubla de vigilance, évitant plusieurs autres chausse-trappes. Plus les pièges étaient nombreux, plus elle se disait que son but se rapprochait. Et à chaque funeste mécanisme auquel elle échappait, sa détermination revenait.

« Je vais trouver ce maudit anneau et ressortir de ce tombeau ! Je ne laisserai ni l’impératrice, ni aucun de ses stratagèmes avoir raison de moi ! » se murmurait-elle.

Après de nombreuses autres minutes de progression, la jeune femme sentit le sol changer sous ses semelles : ce n’était plus de la simple terre battue mais des dalles de pierre. Le couloir s’élargissait et l’atmosphère se faisait moins pesante. C’est à cet instant que son destin se joua.

Posant le pied sur une nouvelle dalle, elle sentit un mouvement d’air et se retrouva prise dans un nuage de poussière. Ses yeux puis sa peau se mirent à la brûler avant qu’elle ne sente sa gorge se serrer de plus en plus. Toussant et crachant, la jeune femme fit un autre pas, puis deux, avant de s’abattre sur le sol inconsciente, ses doigts se contractant convulsivement sur le col de sa tunique pour tenter de respirer plus facilement.

Lorsqu’elle revint à elle, le couloir dans lequel elle avait pénétré était baigné d’une vive lumière. Devant elle s’ouvrait une porte d’où provenait cette éclatante clarté. Lentement, la jeune femme se redressa, le corps comme engourdit et s’avança vers cette source lumineuse. Elle se sentait irrésistiblement attirée, comme un papillon de nuit par la flamme d’une chandelle. Sans aucune appréhension, Li Gya franchit le seuil de cette porte et se retrouva à l’extérieur, dans un magnifique jardin empli de fleurs, baignant sous une douce lumière dorée. Le contact de cette lumière lui apporta une nouvelle chaleur, chassant le froid qui subsistait encore dans ses membres endoloris. Ses yeux baignant dans l’obscurité depuis plusieurs heures mirent quelques secondes à s’accoutumer à la luminosité. Clignant des paupières, elle vit une femme vêtue de blanc au visage paisible s’approcher d’elle.

« Bienvenue Li Gya » dit l’inconnue d’une voix douce.

« Où suis-je ? » demanda cette dernière.

« Au terme du chemin ; là où se rejoignent toutes les voies… »

« Je suis… Dans les Jardins Célestes ? »

L’inconnue acquiesça.

« Mais… Pourquoi suis-je ici ? Je suis si jeune ! J’ai encore tant de choses à vivre ! C’est à peine si j’ai découvert ce que peut réserver l’existence ! »

« La voie de chacun est tracée. Tu as suivie la tienne et elle s’est achevée. Mais ce n’est qu’une voie parmi des milliers d’autres, une goutte de songe dans l’immensité du Rêve… »

« Du rêve ? Mais non, ce n’est pas un rêve ! »

« Chaque existence en ce monde est un rêve en communication avec des centaines d’autres… »

« Comment ? Je ne comprends pas… »

« Lorsque le temps sera venu, tu comprendras. Tu es encore très jeune. »

« Mais… Et maintenant ? Qu’est-ce qui m’attend ? »

« Maintenant tu vas te rendormir, rejoindre un nouveau chemin. Ton temps ici n’est pas encore venu. Alors dors, mon enfant. Et rêve. Rêve une nouvelle vie. »

Aux derniers mots de l’inconnue, Li Gya sentit soudain ses paupières s’alourdir. Tout son corps se fit plus pesant. Elle lutta quelques instants contre la torpeur qui l’envahissait avant de succomber et de s’enfoncer dans le sommeil. Le murmure de l’inconnue l’accompagna durant ces brefs instant de conscience.

« Rêve mon enfant. Rêve… »

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avril 8

Odyssius

Vie après vie s’envolent comme feuilles dans le vent
Les espoirs déçus de mes amours naissants.
Un geste, un doux regard suffisent à me charmer.
Un mot, une attention, me voici envoûté.

Par crainte de froisser, de mésinterpréter,
Je tais cette émotion, la laisse se consumer.
J’ai vécu si souvent cette folle illusion
qu’aujourd’hui je ne sais quand y donner raison.

Ne suis-je donc qu’une farce, un patin agité?
Sais-je donc vraiment ce que veut dire aimer?
Pourtant j’aime sincèrement, mon coeur ne sait mentir.
Suis-je donc condamné à ne faire que souffrir?

Dans mon esprit perdu tournent tant de questions.
Même mon propre corps me tourne en dérision.
Je tangue d’une âme à l’autre sans jamais découvrir
Celle qui me complète et parle d’avenir.

Je suis un égaré, perdu en pleine tempête
cherchant le beau rivage où nulle menace ne guette,
le havre, l’anse paisible où je puisse m’épanouir,
goutter un peu au calme et venir y mourir.

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avril 7

Lunamor

L’homme et sa monture avançaient au pas sous l’épaisse frondaison, l’un et l’autre prenant garde aux branches basses et aux racines traîtresses. Par instants, l’éclat fugace d’un rayon de soleil faisait rutiler l’écu accroché à la selle du cheval : une rose des vents sur fond carmin. Le haubert de cuir du cavalier émettait parfois un grincement lorsque ce dernier rajustait son assiette. Les heures de chevauchée à travers les plaines et les collines de Lunamor commençaient à avoir raison de lui. Sa quête l’avait mené bien loin de son domaine et cela depuis bien longtemps. Il ne connaissait plus que les nuits de mauvais sommeil à même le sol, émaillées du rare confort d’une grange à foin qu’un serf était disposé à lui laisser accessible.

Lorsque l’épuisement se faisait trop pesant, il portait machinalement sa main vers la chaîne pensant à son cou. Le simple contact du petit boîtier en plomb suspendu là ravivait son énergie. Le souvenir rattaché à ce qu’il contenait resurgissait avec toute sa force, galvanisant le corps fourbu du chevalier.

Le cri d’un engoulevent fit sursauter l’homme sur sa selle. Instinctivement, sa main droite se porta vers la garde de l’épée pendant à son coté. Mortefontaines, cette forêt dans laquelle son chemin l’avait porté était réputée hantée. Bon nombre de ceux qui s’y étaient aventuré n’avaient jamais reparu. On la disait peuplée de créatures maléfiques et environnée de sortilèges. Mais en bon chevalier qu’il était, lui ne croyait pas à ces racontars.

Se raffermissant sur sa monture, il lui pressa le flanc pour l’encourager. Docile, le cheval continua sa progression sur le sentier tortueux. Curieusement, les maléfices censés égarer le voyageur semblaient inactifs. Le petit chemin forestier qu’avait emprunté l’homme dès son entrée sous les frondaisons le menait vraisemblablement vers le cœur de Mortefontaines.

Les méandres de la futaie se ressemblant tous, le cavalier finit par perdre la notion du temps. Il commençait à ne plus savoir depuis combien de temps il était engagé sur cette sente. La masse végétale semblait progressivement l’absorber.

« Mortefontaines, je ne te crains point ! Moi, Kedwen de Quartvent, ne resterai pas ton captif ! » cria-t-il d’un voix puissante pour se donner courage.

Le bruissement de la légère brise qui animait ramures et buissons continua, imperturbable.

Lorsqu’il lui sembla qu’il ne pourrait bientôt plus tenir en selle malgré la lumière filtrant toujours à travers les hautes branches, le cavalier se mit en quête d’un espace un peu plus dégagé entre les troncs noueux et les broussailles pour s’arrêter. C’est alors que sa monture déboucha dans une clairière légèrement pentue. Au sommet de la petite butte se dressait une humble bâtisse, assemblage étrange de pierres et de bois doté d’une cheminée d’où s’élevait un léger panache de fumée blanche. Assis sur une pierre couchée devant cette maison se tenait un être dont les traits étaient en partie dissimulés par une capuche de lin sombre. A l’approche du cavalier et de sa monture, la silhouette se redressa et saisit un bâton posé à sa portée.

« N’ayez crainte, je viens en paix ; fit Kedwen en levant une main en guise de salutation ; Je viens de faire un long voyage et souhaiterais, s’il vous sied, profiter de votre hospitalité. »

« Qu’est-ce qui amène un noble sire si loin dans nostre forêt ? » demanda l’être d’une voix tranquille.
L’intonation était toute féminine mais non dénuée de force. Une intuition décida le chevalier à répondre avec franchise.

« La recherche d’une dame chère à mon cœur que des brigands ont enlevée et conduite dans ces sombres contrées. »

« A la bonne porte tu viens de frapper, noble chevalier. Je puis certainement t’indiquer la voie à suivre. Mais je vois à ta mine que la journée fût longue. Le soir descend sur la forêt, c’est un moment peu sûr pour continuer ta route. J’accepte de t’accueillir pour la nuit car ton cœur est pur. Attaches ta monture et entre chez moi. »

Sentant la fatigue peser encore plus lourdement sur ses épaules, Kedwen descendit de son cheval avant de le conduire à quelques pas de la bicoque. L’inconnue avait gravi les marches menant à la porte et se tenait sur le seuil de la maison.

« Avant que tu passes la porte, je te demanderai de te défaire de tes armes. Nul mal ne te guette chez moi et je n’y tolère pas d’instrument de mort. » dit son hôtesse en lui barrant le passage.

Ne souhaitant pas vexer celle qui lui offrait cette providentielle halte, le chevalier se défit de son épée qu’il déposa avec son écu et sa selle à quelques pas de sa monture. Il se présenta ensuite devant la femme qui lui ouvrit cette fois le passage.

L’intérieur de la chaumière était rustiquement meublé mais paraissait parfaitement propre et fonctionnel. Un modeste feu brûlait dans l’âtre, faisant danser les ombres s’allongeant dans la lumière du couchant.

« Le souper est presque prêt. »fit son hôtesse en l’invitant à s’asseoir sur un banc disposé à proximité du foyer.

Kedwen accepta l’invitation et demanda :

« Puis-je savoir qui je dois remercier pour cet accueil bienvenu ? »

Lui tournant le dos, son hôtesse se débarrassa de la lourde cape et du capuchon qui la dissimulaient avant de lui faire face.

« Mon nom est Mawen, noble chevalier. Et je connais le votre. Vous l’avez crié dans le vent un peu plus tôt. »

Devant le chevalier ébahi se tenait une belle femme aux longs cheveux bruns et à la peau légèrement hâlée par le soleil. Son visage délicat était illuminé par l’éclat de ses yeux couleur d’ambre. Pendant un instant, l’homme fut ébloui par tant de beauté et de pureté. Il se ressaisit, s’apercevant qu’il dévisageait celle qui lui faisait face et détourna les yeux vers les flammes crépitantes.

« Veuillez me pardonner, dame Mawen, mais ne craigniez-vous pas les malandrins dans cette sombre forêt ? »

« Je vis suffisamment à l’écart pour ne pas attirer leur attention. Bien peu s’aventure si loin dans les bois. »

Kedwen fit silence pendant plusieurs minutes, son hôtesse dressant une table avec ses modestes biens.

« Vous disiez pouvoir m’indiquer le chemin vers ceux qui ont enlevé ma mie. »

« Chaque chose en son temps, noble sire. Le repas est prêt. Mangeons. »

L’homme et la femme s’attablèrent ensemble et s’absorbèrent silencieusement dans le contenu de leur plat. De temps à autres, Kedwen risquait un coup d’oeil vers celle qui l’accueillait, fasciné. Elle se contentait de manger, une ébauche de sourire malicieux sur les lèvres. Soudainement, elle redressa la tête, surprenant le regard du chevalier.

« Qu’y-a-t-il donc qui vous intrigue comme cela, sire Kedwen ? » demanda-t-elle en plantant ses yeux dans ceux de l’homme.

« Sur mon honneur, dame Mawen, je vous présente mes excuses… Je ne puis m’empêcher de songer aux dangers qui menacent une si belle créature vivant seule dans ces bois… »

« Vous me trouvez donc belle ? »

« Les dieux m’en soient témoins, vous êtres l’une des plus belles femmes qu’il m’ait été donné de contempler… »

Un mystérieux sourire plissa les lèvres de Mawen.

« Ressaisissez-vous, chevalier. Pour un peu, vous oublierez votre quête… Et votre soupe va refroidir. Quand aux menaces, n’ayez crainte. Je sais me défendre… »

Ils achevèrent leur repas dans le silence, Kedwen se forçant à conserver son regard rivé sur le contenu de son assiette. Un éclat dans le regard de son hôtesse l’avait dissuadé de pousser son questionnement plus avant.

Le souper terminé, Mawen se leva et se dirigea vers un coin de la bâtisse plongé dans les ténèbres.

« Je ne dispose que d’un lit mais je puis vous proposer une couche de paille et de jonc pour vous reposer, noble sire. »

« Cela sera parfait aux vues de ce que j’ai connu ce temps derniers. »

« Très bien. Un baquet d’eau fraîche et quelques autres commodités se trouvent derrière ce rideau. » lui indiqua la femme.

Kedwen acquiesça avant de se diriger vers la tenture séparant cette salle d’eau improvisée du reste de la demeure.

Lorsqu’il eut achevé ses ablutions, il revint dans la pièce principale. Mawen avait gagnée son lit armoire et refermait la porte du meuble.

« Dame Mawen, qu’en est-il de mon chemin ? »

« Nous verrons cela demain, sire Kedwen. La nuit est tombée. Il n’est plus temps de parler ou de cheminer. L’heure est au repos. »

Et la femme verrouilla le panneau de bois qui la séparait de la pièce principale. Le chevalier se résigna alors et, se débarrassant de ses bottes et de son haubert, s’installa sur la paillasse improvisée que lui avait dressé son hôtesse. A sa surprise, il trouva la couche fort confortable et, malgré ses interrogations, ne tarda pas à s’endormir.

Un froissement de tissu léger le tira de ses rêves au cœur de la nuit. Ouvrant les yeux, il découvrit la maison plongée dans les ténèbres avec ça et là les tâches claires d’un rayon de lune. Le feu dans l’âtre achevait de se consumer en silence. A quelques pas de lui se tenait son hôtesse en chemise de nuit. Intrigué, Kedwen se redressa sur un bras. La femme se planta alors dans le cercle argenté d’un rais lunaire en plongeant son regard dans celui du chevalier. Quelque chose en elle avait changé. Ce n’est qu’en ayant battu des yeux quelques instant que l’homme réalisa en quoi : sa chevelure brune avait pris une teinte laiteuse, tout comme sa peau et ses yeux d’ambre s’étaient mués en puits d’obscurité. Il sursauta et fut pris d’un frisson alors que la femme le dévisageait toujours. Mawen défit alors le lacet maintenant en place sa chemise et la laissa tomber sur le sol, révélant son corps nu à la vue de l’homme.

« Aimes-tu ce que tu vois, beau chevalier ? » interrogea-t-elle.

L’homme déglutit avec difficulté devant cette vision soudaine. Le corps de son hôtesse était tout aussi désirable que séduisant. Elle s’approcha de lui jusqu’à le frôler.

« Veux-tu partager mon lit ? » insista l’apparition.

Elle tendit alors la main et la posa sur le torse de l’homme.

« Je connais de merveilleuses façons de passer le temps… »ajouta-t-elle avec un rictus lubrique.

D’un leste mouvement, elle enjamba la paillasse avant de s’installer à califourchon sur les cuisses de son invité. Celui-ci frémit au contact de la peau de son hôtesse : elle était glacée mais faisait pourtant monter en lui une vive chaleur. Il réagit enfin en saisissant son médaillon, tentant de reculer vers le mur.

« Dame Mawen, vous ne semblez pas dans votre état normal. De plus, je suis lié par un serment… »

« Oublie la gourgandine à qui tu as prêté ce serment… Elle ne sera jamais aussi douée que moi pour les choses de l’amour… » répondit la femme d’une voix langoureuse.

Tenant fermement son pendentif, Kedwen s’écarta un peu plus.

« Non, dame Mawen. J’ai prêté serment sur mon honneur. Je ne me dédirai pas… »

A ces mots, l’atmosphère changea du tout au tout : la douce chaleur du logis disparut pour céder la place à un froid mordant. La femme se redressa, son corps s’auréolant de colère.

« Quoi ? Tu oses me rejeter ? Moi qui t’ai accueilli sous mon toit, t’ai offert gîte et couvert ? Tu te refuses à moi sous prétexte d’un serment sans valeur offert à une souillon ? Sais-tu qui je suis ? »

Kedwen recula encore en voyant son hôtesse se mettre à flamboyer de rage. La cabane autour d’eux s’évanouit. A sa place apparut le sommet de la butte sur laquelle ils se tenaient, couronnée de pierres gravées de motifs étranges. La frayeur mordit cruellement le chevalier lorsqu’il reconnut là un tertre funéraire. Mais son effroi s’agrandit encore lorsqu’il vit la terre au pied des monolithes s’ouvrir et des cadavres en armes en sortir.

« Petit chevalier, tu es fais ! Rien ne viendra te sauver. Si tu te refuses à moi, alors mes soupirants se chargerons de toi !; glapit la créature qui était femme ; Cèdes et tu ne craindras plus rien. Tu aimeras même cela. »

« Non ! Sur mon honneur, je ne trahirai pas celle à qui je me suis voué corps et âme ! Elle est l’unique à qui se destine mon cœur et rien ne me fera faillir ! »

Le chevalier s’agenouilla alors, serrant toujours fermement son médaillon, attendant la mort qui arrivait. La femme hurla de toute sa rage, les morts martelèrent le sol de leurs pieds bottés et levèrent leurs armes, prêts à frapper. Kedwen ferma les yeux, acceptant son sort. La voix radoucie de son hôtesse vint alors murmurer à son oreille :

« Brave chevalier, tu as prouvé ta valeur et ton dévouement. Tu trouveras celle que tu cherches endormie au pied du tertre. Va, maintenant et garde ton honneur sans tâches ! »

Puis la voix s’évanouit, laissant place au chuintement de la brise dans les futaies. L’homme ouvrit les yeux et découvrit la butte déserte. Ni pierres levées, ni morts grimaçants, ni démon furieux ; tout avait disparu. Son cheval paissait tranquillement, ses affaires posées sur le sol à quelques pas. Au pied de la colline, il apercevait une forme étendue près d’un tronc moussu. Aussitôt, il bondit sur ses pieds et dévala la pente. La belle Hylde l’attendait là, sortant d’un long sommeil en battant des cils. Dès que les deux amants s’aperçurent, ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Le premier rayon du soleil perça alors les frondaisons. Après de longues embrassades, Kedwen, saisit sa douce par la taille et la conduisit près de sa monture. Il sella cette dernière, fit monté sa promise en croupe et, guidant le cheval par la bride, s’enfonça à travers les broussailles, son amour perdu enfin retrouvé.

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