avril 4

Le spectre

Le vent effilochait les nappes de brume enveloppant le vieux château. Si le ciel de plomb ne suffisait pas, la douleur lancinante qui courrait dans ses phalanges et dans ses genoux usés aurait renseigné Iula sur le temps à venir ; la pluie arrivait à grands pas.

« Nous allons avoir une belle averse, Oswin. » chevrota-t-elle en direction de la cheminée, là où se tenait le vieux braque lorsqu’il était encore de ce monde.

Le regard délavé par le temps de l’octogénaire dériva sur les pierres disjointes et les fenêtres ouvertes à tous les vents de la ruine au sommet de sa butte. Quel beau manoir cela avait été, du temps de sa jeunesse ! Mais ses occupants l’avaient quitté depuis si longtemps, maintenant. Iula revoyait encore les splendides voitures venant décharger leurs riches occupants lors de fastueuses fêtes.

« La plus belle était la Célébration du Printemps… »murmura la vieille femme.

A cette évocation, la ruine semblait reprendre vie. Ses murs effondrés se redressaient, arborant leurs fières couleurs d’autrefois, des guirlandes de fleurs fraîches étaient suspendues sur les façades et dans les couloirs et des tentures vaporeuses habillaient les murs de la salle de bal. Et les toilettes de ces messieurs et dames ! Qu’ils étaient beaux ! Iula les revoyait tournoyer dans des robes chamarrées et des capes de velours. Elle distinguait même la silhouette du comte dans sa sombre redingote se tenant sur le balcon du premier étage…

Sortant de sa rêverie, la petite vieille cligna des yeux pour chasser ces fantômes surgis du passé. Elle se rapprocha alors de la vitre pour mieux voir car il lui semblait que la silhouette sombre était toujours là, sur ce balcon à demi détruit. Pas de doute, il y avait bien quelqu’un là-haut.

Pendant quelques instant, Iula s’interrogea sur la conduite à adopter. Comme ses parents avant elle, elle avait hérité de la charge de gardienne du domaine. Mais les occupants étaient partis depuis si longtemps qu’ils avaient sans doute oublié l’existence de ce petit bout de terre perdu dans la campagne profonde. Jamais personne ne passait par ici, hormis le garde chasse lors de ses tournées d’inspection. Il en profitait pour lui déposer son courrier et s’assurer qu’elle ne manquait de rien.

Toute à ses réflexions, la vieillarde trottina vers la porte, attrapant son châle sur le dossier d’une chaise pour s’en couvrir les épaules. Parvenue devant l’huis, elle ouvrit le battant de bois et s’avança sur le seuil de son logis.

« Ohé ; appela-t-elle ; que faites-vous par ici ? »

Mais seul le vent lui répondit. La vieille plissa les yeux pour mieux voir : l’ombre avait disparue. Le manoir en ruines se tenait sur son sommet, vide de toute présence.

« Allons bon, voilà que je vois des choses qui n’en sont pas, mon vieil Oswin. Iula, tu dérailles. » dit-elle en refermant la porte.

Chassant le frisson qui la saisissait à cause de l’air humide, elle referma la porte et se dirigea vers sa cuisinière pour mettre de l’eau à chauffer. Lorsque le liquide fut à la bonne température, elle y laissa glisser quelques feuilles de thé et oublia bien vite l’incident, se délectant de l’odeur que ces dernières dégageaient. Elle s’installa confortablement dans son fauteuil favori avec une tasse du délicieux mélange et, bercée par la douce chaleur du feu dans la cheminée, ne tarda pas à s’assoupir.

Plusieurs heures avaient passées lorsque la petite vieille fut tirée de son sommeil par des coups frappés à la porte. La nuit était tombée et l’unique lueur éclairant la demeure était le rougeoiement des braises. Dehors, le vent soufflait comme toujours, faisant battre les volets et s’écraser la pluie contre les vitres de la bicoque. Iula s’extirpa non sans mal de son fauteuil puis, resserrant son châle autour de ses épaules, se dirigea vers le battant. Au passage, elle se saisit de sa canne pour assurer ses appuis ; une douleur dans sa hanche s’était réveillée en même temps qu’elle.

Cheminant lentement, elle parvint devant l’huis et demanda :

« Qui est là ? »

« Le comte d’Aisignan ! » répondit une voix grave.

« Monsieur ? » s’exclama la vieille dame.

Aussitôt, elle déverrouilla le battant et l’ouvrit.

« Entrez ! Ne restez pas au dehors par ce temps ! »

En effet, sur le seuil se tenait un bel homme d’âge mur, enveloppé d’un manteau de brocart noir, ses longs cheveux bruns lissés vers l’arrière. Quelques gouttes de pluie glissaient sur son visage, ce qui ne semblait pas le gêner outre mesure. Pourtant à quelques pas de lui, la petite vieille percevait un halo flou autour de sa personne. Elle mit cela sur le compte de son âge et de sa vue baissant.

A son invitation, l’homme entra dans la pièce en s’ébrouant légèrement.

« Installez-vous, je vais remettre une bûche dans la cheminée. Il fait un temps à attraper la mort ! » dit-elle.

Pendant que son visiteur se rapprochait du foyer, Iula s’affaira à mettre un peu d’ordre, faire chauffer de l’eau et préparer une collation pour lui.

« Voilà bien longtemps que je suis parti. Mon si beau château est à l’abandon… » dit le comte en se frictionnant les mains devant le feu.

« Le temps a fait son œuvre. Et je suis une bien petite chose face à lui… »s’excusa l’octogénaire.

« Je ne vous blâme pas, Iula. Que pourrait une femme seule contre les méfaits du temps. Mes héritiers ont abandonné les lieux, sans aucun respect pour la terre de leurs ancêtres. »

L’homme se laissa tomber sur un siège et indiqua son fauteuil à la gardienne.

« Asseyez-vous, Iula. Nous avons à parler. »

Sa hanche la lançant de plus belles, la vieillarde se glissa sur son siège, non sans avoir déposé quelques biscuit et une théière fumante sur un petit guéridon.

« Que peut une vieille femme comme moi pour votre seigneurie ? » dit-elle docilement.

« Racontez-moi donc ce que vous avez fait tout ce temps. J’ai besoin de savoir quelles sont les nouvelles du village maintenant que je suis revenu. »

Alors, Iula se mit à raconter : la vie du village lointain, les hauts et les bas des derniers occupants du château, l’incendie qui l’avait ravagé à cause d’un feu mal éteint, son abandon et sa lente décrépitude comme plus personne ne se souvenait de son existence. Elle parla longtemps, comme elle aurait parlé avec un vieil ami plutôt qu’avec le seigneur du domaine dont elle était la gardienne. Et l’homme la laissa raconter sans l’interrompre, se contentant de hocher la tête par moments.

Lorsqu’elle s’arrêta, la bûche qu’elle avait ajouté sur les braises était déjà grandement consumée.

« Mon dieu, que je suis bavarde ! Veuillez me pardonner, monsieur le comte. Je manque à tous mes devoirs… »termina-t-elle.

« Ne vous en faîtes pas, Iula. Vous les avez plus que largement remplis jusqu’à présent. »dit l’homme.

La petite vieille l’observa alors avec attention.

« Vous n’êtes pas monsieur le comte, n’est-ce pas ? »

Le visiteur laissa passer quelques secondes avant de répondre.

« Non, en effet, vous m’avez démasqué. »

« Mais qui êtes-vous, alors ? Et que faîtes-vous là ? »

L’inconnu se redressa gracieusement et s’approcha de la petite vieille pour lui saisir la main.

« Je suis venu vous emmener, Iula. »

« M’emmener ? Où ça ? »

« Loin. Loin d’ici, de cette contré oubliée, de votre grand âge et de vos regrets. »

L’octogénaire le regardait sans comprendre ce qu’il voulait dire.

« Venez, Iula. Il est temps de partir. Tout le monde vous attend. »

« Tout le monde ? »

« Oui, tout le monde. Annabelle, votre cousine, votre chien Oswin et Poul Bradley aussi. »

« Poul Bradley ? Mais il est mort il y a au moins quarante ans ! »

« Ceci importe peu là où nous nous rendons. »

Tout en parlant, il avait doucement mis la vieille dame sur ses jambes et, la tenant galamment par le bras, il la guidait vers la porte. Cette dernière s’ouvrit sans qu’il la touche, dévoilant le chemin qui montait vers le sommet de la colline baignant dans le clair de lune. La pluie qui battait encore l’instant d’avant semblait avoir disparue.

« Allons-y, Iula. Une nouvelle vie vous attend… »

Et, sur ces mots mystérieux, il guida la petite vieille sur la sente. Ils disparurent de l’autre coté de la colline alors que la dernière étincelle de lumière s’évanouissait avec le feu mourant dans l’âtre, plongeant la petite maison dans l’obscurité.

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avril 3

Airain

« Le sommet du monde ! Un expérience inoubliable ! Vous en resterez soufflés ! Quelle blague !; pestait Neil ; Ils ont oublié de mentionner la neige, le froid et mon guide qui s’évapore au milieu de nulle part ! »

Le jeune homme tentait vainement de se repérer au milieu de se paysage blanc où ciel et terre se confondaient.

Il était parti aux premières lueurs de l’aube alors qu’une belle journée s’annonçait pour une expédition qui devait le conduire à la cime du Mont d’Airain. Un ami lui avait recommandé le voyage, lui qui voulait contempler la nature dans sa pure splendeur. Neil avait donc acquis le matériel nécessaire, contacté un guide réputé et s’était lancé.

Les premières heures avaient été rudes. Neil n’était pas particulièrement sportif mais misait sur sa détermination pour parvenir à son but. Il avait bien tenté d’engager la conversation avec son guide mais celui-ci s’était révélé plutôt taciturne, l’encourageant à garder son souffle pour la montée.

Après plusieurs heures de marche, les sapins qui environnaient le sentier s’étaient progressivement couverts de blanc alors que le ciel s’assombrissait. Bientôt, tout le paysage devint uniformément blanc, avec ça et là quelques affleurements rocheux recouverts de givre.

Le guide les arrêta dans un creux granitique le temps qu’ils se restaurent. Cette courte pause fut accueillie avec satisfaction par Neil dont la respiration s’approchait depuis un moment du bruit d’un soufflet de forge. Pourtant, le jeune homme ne se plaignait pas. Il essayait de suivre le rythme imposé par l’homme qui l’emmenait, prenant cette épreuve comme un défi, un challenge personnel.

Une fois que les deux hommes eurent déjeuné, ils reprirent leur marche.

« Nous devons accélérer si nous voulons atteindre le sommet avant la nuit. » lâcha le guide.

Neil acquiesça et aligna son pas sur celui de l’homme. De temps à autres, il jetait un œil aux alentours, cherchant les points de repère dont pouvait se servir celui qui ouvrait la marche pour les emmener dans la bonne direction.

Plusieurs heures passèrent à nouveau sans que les deux randonneurs n’échangent une parole. Le silence du monde qui les entourait était seulement peuplé du craquement de la neige dont la couche s’épaississait sous leurs pas.

Soudain, alors que le guide contournait un promontoire rocheux à demi enfoui, il disparut à la vue du jeune homme. Concentré sur sa progression, Neil n’y prêta pas attention sur l’instant. Ce n’est que lorsqu’il releva la tête un moment plus tard, ayant lui-même passé l’angle du monticule de pierre, qu’il s’aperçut que plus personne ne le précédait. Surpris, il regarda autour de lui, essayant de voir dans quelle anomalie du terrain son guide pouvait avoir disparu. Mais il ne vit rien. Plus aucune trace dans la neige au devant, pas un cri, pas un son, juste ce champ de neige parsemé de roches.

« Ohé ! » appela-t-il.

Seul l’écho de son propre cri lui répondit.

« Bergson ! Où êtes-vous ? »

Rien. Juste le silence.

Pendant plusieurs minutes, Neil ne sût que faire. Voilà qu’il se retrouvait seul, perdu au milieu de nulle part.

Une soudaine bourrasque de neige le décida. Il ne pouvait pas rester sur place indéfiniment. La plus sage décision était de rebrousser chemin en suivant ses propres traces. Avec un peu de chance, il pourrait rejoindre leur point de départ avant la nuit. Il ne devait pas traîner, d’autant que le ciel devenait de plus en plus menaçant.

Jetant un dernier regard vers le sommet et les alentours, il commença à revenir sur ses traces. Mais sa progression s’avéra plus difficile. La bourrasque qui l’avait décidé n’était que l’annonciatrice du changement de temps. Le ciel s’était complètement bouché et le vent s’était levé, emportant avec lui de nombreux flocons qui réduisaient progressivement la visibilité du jeune homme. Bientôt, il se trouva désorienté. Ses traces s’effaçaient rapidement à mesure que le blizzard les balayait. Les forces du jeune homme s’épuisaient rapidement tandis qu’il lutait contre les éléments. A bout de souffle, il se réfugia dans un creux de roche alors qu’il ne voyait pas à plus d’un mètre.

« Un cauchemar, c’est un cauchemar ! »murmura-t-il, frigorifié. « Je ne peux pas continuer. Je vais attendre que la neige s’arrête… »

Neil se pelotonna dans le creux du rocher pour se mettre à l’abri du vent et tenter de se réchauffer. Il perdit rapidement la notion du temps, le blizzard hurlant continuellement et battant la roche au dessus de lui. Gagné par la fatigue, le jeune homme dodelinait de la tête. Ses paupières devenaient lourdes et il avait du mal à rester éveillé. Bientôt, il sombra dans un sommeil agité.

Un crissement contre la roche le tira brutalement de sa torpeur. C’était une sorte de frottement métallique qui faisait résonner la pierre, un son qui n’avait rien de naturel. Neil ouvrit les yeux, essayant de voir d’où provenait ce bruit. Il constata que le vent s’était calmé mais que la neige tombait toujours. Le crissement se répéta, plus proche. Le jeune homme se remit sur ses pieds, scrutant le paysage qui l’entourait pour en deviner la provenance. Il se glissa à l’extérieur de son refuge alors que le son se faisait entendre une nouvelle fois, plus proche encore et plus inquiétant.

Debout dans la neige, Neil écarquillait les yeux. Une peur ancienne commençait à lui tordre les entrailles. Un craquement sur sa droite attira son attention. Une forme massive se dessinait à quelques mètres de lui. La roche crissa à nouveau et la couche neigeuse craqua sous le poids de quelque chose de très lourd alors que la forme indistinct se rapprochait. Le jeune homme vit luire deux éclats oranges tandis qu’un souffle chargé d’odeurs pestilentielles lui montait aux narines. Un rugissement semblant venir des profondeurs de l’enfer éclata.

Sans réfléchir, le jeune homme tourna le dos à la chose et se mit à courir pour s’en éloigner. La panique le gagnait. Il n’avait plus qu’une envie : quitter au plus vite cette montagne. Une forte secousse de la couche neigeuse informa le jeune homme que la chose se lançait à sa poursuite. Le sol tremblait sous ses pieds. L’horrible odeur était de plus en plus forte. Un crissement métallique bien plus proche lui fit dresser les cheveux sur la tête. Neil accéléra encore sa course. Il ne voyait pas où il allait, ne pensait à rien. Seule la perspective d’échapper à la chose le poussait.

Soudain, le sol se déroba sous ses pieds. Il se sentit chuter et hurla, imaginant sans peine les parois hérissés de roches qui interrompraient sa chute. Mai au denier instant, quelque chose agrippa son épaule, le maintenant au dessus du vide. Un son rauque se fit entendre, en même temps que le terrifiant crissement métallique. Les deux yeux orangés de la créature étincelèrent à un pas du jeune homme. Ce dernier se mit à hurler de plus belles alors que l’être le secouait en tous sens comme pour le faire taire. Neil vit une lourde patte prolongée de longues griffes se précipiter droit sur sa gorge et…

Le jeune homme s’éveilla en hurlant alors que quelqu’un le secouait par l’épaule.

« ça va, jeune homme ? Il ne faut pas traîner si nous voulons atteindre le sommet ce soir. »

Bergson, son guide, se tenait à coté de lui. Au dehors, les premières lueurs du jours éclairaient lentement la montagne, annonçant une belle journée.

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mars 6

Divine grâce

J’errais parmi les brumes grises
sur les chemins de Solitude,
le cœur de plomb, vieille habitude,
se chargeant de rêves qui se brisent.

Quand les volutes arachnéennes
s’ouvrirent à une apparition,
dissipant l’abattement profond
et les pensés lourdes de peines.

Un rais de lumière féerique
accrocha mon sombre regard.
Devant moi, perçant le brouillard
vint une vision magnifique.

Drapée dans une robe d’azur
s’avançait une elfe aux yeux d’or,
l’instant d’avant chantant encor,
les lèvres closes sur un murmure.

De longues boucles couleur de jais
encadrant sa peau opaline,
un port de princesse levantine,
une bouche d’un carmin parfait.

Mon être demeura saisi
par sa beauté évanescente
et les brumes tourbillonnantes
en un souffle l’eurent engloutie.

Aurais-je dû lui dire un mot?
Toucher sa main délicatement?
Lui confier mon sentiment
en pépiant tel un oiseau?

Mon âme pleure l’instant perdu
et ce bonheur évanoui;
mais le triste aède que je suis
eut-il pu plaire à cette élue?

novembre 19

Désolation

Sous la voûte d’un ciel chargé de plomb fondu
planent les oiseaux sombres portant leur déchéance,
survolant une plaine de cendres et de souffrance
où trône une tour en ruine aux murailles fendues.

Dans la tour, pas un bruit, seul règne le silence.
De vieux feuillets moisissent près d’une plume brisée,
dessins, esquisses pourrissent sur un sol détrempé.
Le lieux est dévasté, en pleine déliquescence.

Au sous-sol erre une ombre, souvenir de l’occupant,
piétinant les débris d’un cristal en miettes
où il croit voir danser les images muettes,
le rêve illusoire de ce qu’il fut avant.

Lentement, le fantôme tourne dans son caveau lugubre
se jetant sur la moindre parcelle de lumière,
la consumant bien vite d’un souffle délétère,
retournant aux ténèbres de sa tombe insalubre.

A quelques pas de là gît une enveloppe vide,
berceau d’un être éteint, dévoré par la mort.
Il a enlevé aux Moires la trame de son sort
pour la jeter lui-même dans une abîme avide.

L’être, l’enveloppe et l’ombre étaient un, autrefois,
avant que la Tristesse n’ait en eux tout brûlé,
avant que la folie ne vienne les scinder,
puis les anéantir, d’un cri empli d’effroi.

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mai 28

Ephémère

Oh si lointaines terres recouvertes de brumes,
Lorsque s’élève l’astre marquant le point du jour.
Oh champs immaculés parés de mils atours,
Par ces résilles d’argent plus légers que des plumes.

Mes étranges contrées peuplées d’êtres de songes,
Baignant dans la douceur d’éclats crépusculaires.
Ouvrez-moi le passage, fier peuple des chimères,
Laissez-moi oublier le mal qui me ronge.

Dans le pays du rêve, je souhaite retourner.
Loin des rumeurs d’un monde qui râle d’agonie.
Quand donc sonnera l’heure où les esprits honnis
Verront leur rédemption et leurs fautes lavées?

Derrière le voile léger tissé de rais stellaires,
Je distingue un visage attendant ma venue.
Une dame faite d’ombre dont le regard ému
Renferme la beauté de secrets univers.

Empêtré dans les mailles de ma prison de chair,
J’ai vu sa main se tendre jusqu’à presque me frôler.
Mais je n’ai pu l’atteindre, elle s’est évaporée,
Ne laissant derrière elle qu’un souvenir amer.

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mai 19

Melmoth – extrait

Court passage d’une histoire à laquelle je travaille:

Le démon mit plusieurs minutes à trouver l’endroit qu’il cherchait : c’était un hangar métallique situé dans une partie peu fréquentée des halles.

« L’endroit parfait pour une embuscade. »Pensa-t-il.

De solides grilles d’acier barraient l’entrée principale mais une fenêtre laissée imprudemment ouverte permit au diable de se faufiler à l’intérieur. Les lieux étaient plongés dans l’obscurité, ce qui n’était pas un vrai problème pour Melmoth. L’odeur flottant dans le bâtiment, par contre, était plus gênante. L’endroit devait être un abattoir car l’air était chargé de relents évoquant le sang et les carcasses récemment découpées. Cela rendait le diable nerveux. Tout son corps était parcouru de minuscules décharges électriques.

Ce qui l’entourait avait tout d’un bureau et ne comportait rien de particulier. Aussi franchit-il une porte qui le conduisit dans l’abattoir proprement dit. Des rails courraient au plafond, sur lesquels étaient placés de grands crochets. Tous ou presque supportaient des quartiers d’animaux prêts à la découpe. L’odeur ici était plus forte que dans la pièce adjacente. Pourtant Melmoth discerna au milieu de celle-ci une seconde fragrance tout aussi familière : une odeur de charogne qui n’avait rien à voir avec celles exhalées par les carcasses. Dans l’obscurité, il se dirigea vers la source de cette odeur. Cette dernière le conduisit au sous-sol d’une troisième pièce, accessible grâce à une trappe de fer s’ouvrant sur un escalier. Dans cette cave, les ténèbres étaient encore plus épaisses et l’odeur absolument écœurante. Mais le démon en avait vu d’autres.

Parvenu dans ce qui devait être le centre de cette pièce au sous-sol, Melmoth distingua une forme suspendue au plafond. A n’en pas douter, c’était la source de cette fragrance inhabituelle. D’autres se mêlaient à cette dernière : une odeur d’humidité, la senteur épaisse de la cire chauffée mais également celle plus minérale de la craie.

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mai 7

Sièdh

Mon âme reviendrait bien vers ce chemin d’émeraude,
Ces hautes frondaisons et ce tranquille silence.
Ce lieu où rien ne compte, ni erreurs, ni absence
Juste l’instant présent où la douceur rôde.

L’on est bien, hors du temps, dans cette secrète bulle
Loin des douleurs du monde et de sa fausseté.
L’espace d’un battement de cils, dans cette enclave sacrée,
On se prend à rêver une vie qui nous émule.

La course n’a plus cours au coeur de ce miracle.
C’est le rythme de l’arbre, le bruissement du vent
Qui marque le passage, les saisons défilants,
Loin des rumeurs du monde et de tous ses obstacles.

Dans cet amphithéâtre au milieu des fougères,
Entouré des esprits venus des temps passés,
Chaque fibre de mon être se sentait apaisée.
J’y retournerai donc avant mon heure dernière.

Je retrouverai cette voie nichée entre les pierres
Où mon coeur hurlant soudainement s’est tut,
Dansant entre les feuilles, c’est la paix que j’ai vu,
Invitant à goutter un repos éphémère.

C’est le chant de la terre qui, là-bas, me mènera,
Suivant les astres errants et les cieux enchantés.
Alors se regrouperont les amis tant cherchés…
Si je reprends la marche, alors, qui me suivra ?

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mai 5

Ordo ad chaos

Il est de ces regards dont on tombe amoureux en l’espace d’un instant.
Il est de ces sourires qui font fondre le cœur et manquer un battement.
Quel délice alors lorsque ces miracles vous viennent de l’être aimé!
Plus rien d’autre ne compte en ces si doux instants que de s’émerveiller.

Il est de ces ténèbres qui vous enveloppe le cœur et vous enserrent l’âme,
Plantant leurs larges griffes et vous empoisonnant plus que n’importe quelle lame.
Brumes malévolent rongeant plus qu’un acide la moindre des pensées,
Entraînant vers l’abîme un esprit faiblissant pour mieux l’y consumer.

Chaque jour, Cœur errant espère l’un, trouve l’autre,
S’enlise dans la fange de ses égarements,
Cherchant un équilibre entre ces sentiments,
Pris dans des ouragans que ne perçoivent les autres.

Raison n’y comprend goutte et ne sait que penser.
Ne voyant en ce trouble qu’esprit désordonné,
Elle veut régenter l’âme pour apaiser ce fou,
Contenir ce chaos dont tout l’être se fout.

Combien proche est la chute, la totale implosion
Avant que Fol esprit refrène ses émotions,
Qu’il ramène sur leurs rails ses ersatz dérangés
Jusqu’au nouveau séisme venant tout bouleverser.

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mai 4

Cycle

De si jolis regards, de subtiles mouvements
Plongent un coeur meurtri dans un délicieux trouble,
Réveillent les fantômes d’une existence double
D’un être dont l’essence s’éteignait lentement.

Quelle secrète cruauté peut bien pousser la vie
A se moquer ainsi d’un esprit languissant:
Lui donner à croiser le tableau saisissant
D’une tranquille beauté tendrement assoupie.

Quel jeu sadique et froid que d’obliger un mort
A contempler une belle sortant droit de ses songes
Pour voir renaître un mal qui sourdement le ronge:
Aimer trop et sans l’être, tel est son triste sort.

Pourquoi cette torture ? L’âme est déjà brisée!
Le siège de son amour gît au sol, en morceaux.
Encore il va errer vers cette spirale de maux
Qui le laisseront hagard, faible, prêt à pleurer.

Lui voulait seulement trouver enfin repos,
Oublier cette passion pour mieux s’annihilier.
Son armure protectrice vient de se fissurer
Il court après des ombres, se perdant à nouveau.

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mars 3

L’Orchidée Pourpre – extrait

Un petit extrait d’une nouvelle sur laquelle je travaille en ce moment:

Lorsqu’il entra dans la pièce, la première chose que remarqua l’inspecteur Reginald Stout était le désordre. Les meubles étaient renversés, des papiers éparpillés dans tous les coins et de nombreux éclats de céramique encombraient le sol.

« Eh beh, pas très ordonnée pour une fée ! » Lança-t-il au sergent Fueler.

L’autre haussa simplement les épaules. Fueler était un authentique descendant du peuple nain, bourru et peu enclin à l’humour pendant ses heures de service, surtout si les traits d’humour venaient de Stout. Depuis qu’ils étaient amenés à collaborer, le farfadet s’était habitué à l’humeur maussade du nain. Aussi ne se formalisa-t-il pas de cette absence de réaction. Fueler ne semblait pas comprendre qu’un trait d’esprit pouvait alléger un peu l’atmosphère pesante qui régnait lorsqu’ils se rendaient sur une scène de crime.

Tirant une cigarette de son paquet, Stout la porta à ses lèvres et se concentra sur ce qu’il avait sous les yeux. Le jour se levait à peine et ses yeux fatigués le brûlaient.

Comme à chaque fois qu’il était de permanence nocturne, les choses se passaient mal. Il avait passé une bonne partie de la nuit à remplir des rapports administratifs à son bureau avant qu’une patrouille n’appelle le poste, au petit matin. Dès qu’il entendit la voix du collègue résonner à la radio, Stout sût que sa journée ne faisait que commencer. Une patrouille avait été appelée dans un quartier plutôt calme par des résidents inquiets. Quelque chose se passait chez leur voisine. Ils avaient entendu des cris et des bruits d’objets qui se brisent. Le standardiste avait tenté de les apaiser jusqu’à ce qu’ils lui communiquent le nom de ladite voisine : Valfuria Sonatine, plus connue sous le pseudonyme de l’Orchidée Pourpre. Ce nom avait retenti comme une explosion. Aussitôt, l’opérateur avait transmis l’adresse à une patrouille qui avait filé sur place toutes sirènes dehors. L’Orchidée Pourpre était une vedette montante issue de la communauté des fées et son dirigeant était très influent, cela malgré l’écroulement du royaume des rêves et l’exil des créatures merveilleuses dans le monde des humains.

Aux balbutiements de l’officier, Stout avait détecté que l’affaire était grave. Aussi ne fut-il pas surpris lorsqu’il fut envoyé sur place. Et voilà pourquoi, alors que le jour se levait, il se trouvait dans un appartement luxueux, en train d’observer une pièce en désordre plutôt qu’à savourer un alcool de baies installé dans son fauteuil favori.

S’extrayant de ses pensés, l’inspecteur Stout se redressa et interpella l’un des officiers arrivé en premier sur les lieux.

« Léonide, tu as prévenu Simon ? »

« Oui, inspecteur. Le légiste est en route. » répondit le gnome en uniforme.

« Je crains qu’il n’y ait plus que lui qui puisse faire quelque chose pour cette belle plante. »

En effet, devant les yeux dorés du farfadet s’étalait le splendide corps diaphane de la fée. Elle était allongée sur le sol, enveloppée dans une nuisette de dentelle légère, les lèvres ouvertes sur un cri muet. Une profonde entaille courait de la base de son cou vers sa poitrine d’où son sang translucide s’écoulait lentement, engluant ses ailes diamantines déployées sur le parquet. Le petit rubis qui ornait habituellement son front avait été arraché et demeurait invisible. A sa place s’ouvrait un trou béant dans le crâne de la belle.

Stout détourna le regard quand un nouveau venu fit son entrée dans la pièce. Le docteur Simon Leary était un humain pure souche mais il avait volontairement décidé de travailler avec les peuples merveilleux. Aussi, et contrairement à ses congénères, avait -il rapidement attiré la sympathie de ceux qui avaient affaire à lui.

« Salut Regy. Sergent Fueler… »

« Salut Simon. La cliente n’est pas ordinaire. Alors si tu pouvais faire vite… »

« Ne t’inquiète pas, Reg. Je sais ce qu’il se passe si l’on tarde trop avec les fées. Un instant elles sont là et le suivant il ne reste que de la poussière de lune… »

Le légiste enfila une paire de gants et sortit une bombe aérosol de sa sacoche. Il se pencha ensuite sur le cadavre et vaporisa quelques gouttes de son spray vers le corps de la défunte. Une fine couche de cire se déploya, enveloppant le cadavre comme dans une toile et durcit rapidement, empêchant son évaporation. La nature volatile et insaisissable des créatures fantastiques avait obligé les humains à mettre au point quelques stratagèmes pour les empêcher de disparaître.

Une fois sa vaporisation terminée, Leary se releva et prit de nombreuses photos en détail du corps et de la chambre. Puis il emballa délicatement le cadavre dans une housse de transport et le transféra dans son véhicule, avant de prendre la direction de la morgue.

« Je te donne mes conclusions aussi vite que possible, Regy. » Dit-il avant de démarrer.

« J’y compte bien. Je finis ici et je te rejoins directement dans ton antre. » Répondit le farfadet en rajustant son chapeau.

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