novembre 29

Sur l’autre face du monde

Lorsque par une nuit de brume cotonneuse
Je m’égarais le long d’un chemin oublié
Et je passais le seuil du monde dissimulé
Où s’en vont les défunts à la mort malheureuse

Point de déchirement, point de voile qui s’étire
Rien qu’un brouillard opaque aux teintes argentées
Un pâle paysage aux nuances glacées
Et des ombres dansantes bruissant de longs soupirs

Dans cet autre univers, ce monde en négatif
Le temps vient se distendre, s’étire à l’infini
Le cycle naturel s’écoule au ralenti
Et seuls de vieux esprits ont les mouvements plus vifs

Perdu dans cet enfer, je recherchais ma route
Luttant à chaque instant contre une forte langueur
Les spectres me frôlant jaloux de ma chaleur
Je n’eus plus qu’un désir: m’échapper coute que coute

C’est alors qu’apparut une présence familière
Une âme disparue, une amante emportée
Par une incohérence, une vie dérobée
Toute prête à me guider pour sortir de ces terres

Grâce à son souvenir, sa flamme rassurante
Je fus ragaillardi, prêt à chèrement lutter
Ne pas voir mon essence lentement consumée
Par tous ces esprits à la faim dévorante

Sous mes pas empressés, la terre se faisait boue
Fermement décidée à m’enchainer ici
Mais de douces paroles et un désir de vie
Me chauffèrent les sangs, me maintinrent debout

Dans un ultime effort je franchis la frontière
Retrouvant le sol ferme et l’opaque brouillard
A cet instant une ombre issue de mils cauchemars
Me marqua à la nuque d’un doigt privé de chairs

Dans un souffle inaudible une voix sépulcrale
Me dit: « Ton âme est mienne, tu ne peux t’y soustraire. »
Et je vis ce visage livide comme un suaire
Le masque aux orbites vides du Faucheur au crâne pâle

Et ce spectre terrible depuis cette nuit me hante
J’aperçois son reflet dans le moindre miroir
A chaque heure il approche, fantôme goguenard
Et je crains que sonne l’heure où cesse son attente.

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novembre 22

Tableau bucolique

Une feuille de papier posée sur l’écritoire
La plume baignée d’encre, prête à tracer des vers
Une tasse dispersant ses arômes dans l’air
Quelques rais de lumière perçant dans le brouillard

Quelques notes glissées dans un carnet usé
Un ou deux livres ouverts, leurs pages livrées au vent
Une fenêtre ouverte aux embruns vivifiants
Un petit feu ronflant dans la haute cheminée

Un gramophone égraine une mélodie ancienne
Des accords voltigent et tombent en cascade
Sur un coussin somnole un chat, la mine maussade
Sur la croisée ouverte un corbeau se promène

Le fauteuil de cuir à l’assise patinée
Reste tristement vide et la Muse patiente
Espère son interprète, surprise de cette attente
Etonnée qu’il ne soit assis là à penser

« Où donc a pu passer ce poète indolent? »
« Dans quelle sombre ruelle s’est-il aventuré? »
« Va-t-il seulement vouloir se montrer? »
« Aurait-il oublié qu’il me doit son talent? »

Ainsi s’interrogeait la Muse délaissée
Alors que l’horloge tourne et qu’avance le temps
Le poète ne vient pas, peut-être est-il souffrant?
Pourtant nulle trace de lui, s’est-il évaporé?

Lassée de ce rimeur qui se fait désirer
La Muse prend son envol vers de tout autres lieux
Laissant ce bureau vide à la merci des dieux
Maudissant le poète à l’âme torturée

Un petit ruisselet de couleur carmin
Serpente soudainement dans la pièce désertée
Alors qu’un râle s’élève du corps désincarné
Du pâle maitre de lieux un poignard en son sein.

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novembre 11

L’appel obscur

Oh, ombres de la nuit, spectres des temps anciens
Vous que le temps oublie, pairs de l’éternité
Vous que le Don Obscure a lentement transformé
Ecoutez donc la plainte d’un misérable humain

Cette vie m’a tout pris, sans aucune récompense
Très tôt j’ai vu partir ceux que je chérissais
Rongé par le chagrin mon cœur se brisait
Laissant mon pauvre esprit accablé de souffrances

Malgré tout je tentais de doucement reconstruire
Fondant quelques espoirs sur un bonheur futur
Mon âme fit son deuil, je pansais mes blessures
Voulant toujours croire à un meilleur avenir

Bien mal m’en à pris, l’entreprise échoua
Brulé par les passions, les rêves illusoires
Je sombrai à nouveau dans un affreux cauchemar
Avec ma volonté mon espoir s’effondra

Mon cœur fut ravagé, mon esprit mis en ruines
J’errai l’âme en morceaux, fantôme désincarné
Ecrasé par ce monde et sa grande cruauté
Sans aucun souvenir que l’amour illumine

Aujourd’hui je suis seul, la Mort se joue de moi
Le poids de mes échecs m’a lentement épuisé
Mais l’éternel repos m’a été refusé
L’univers lui-même me refuse le trépas

J’en appelle donc à vous, émissaires des damnés
Mon fardeau est trop lourd, je veux l’abandonner
Pitié, accordez-moi une nouvelle existence
Offrez-moi une issue, une sanglante renaissance

Je veux voir le monde sous un jour différent
M’emparer de tout ce dont la vie m’a privé
Devenir votre frère ou bien vous rassasier
Pour qu’enfin s’achève le flot de mes tourments.

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novembre 11

Le chasseur

Ombre dans la nuit froide glissant parmi les toits
Nocturne prédateur, reptile au sang figé
Emprisonnant ta proie dans une toile dentelée
Un labyrinthe de rues où sonne son trépas

Tout ton corps tressaille sous l’appel de la chasse
Sous tes chairs mortes crépitent tes nerfs sous tension
Anticipant l’ivresse, la sublime sensation
Atténuant un peu ton appétit vorace

Tu joues avec ta cible comme un cruel félin
Instillant la frayeur dans son fragile esprit
Dégustant sa terreur au moindre de tes bruits
La poussant en avant vers sa funeste fin

Tu apprécies la chasse autant que son issue
Ta si longue expérience te rends si assuré
Tu anticipes chaque geste, chaque vaine échappée
Brisant son maigre espoir d’un feulement ténu

Et lorsqu’enfin la peur l’a assez parfumée
Tu fonds sur ta victime plus vite que le vent
Refermant ta mâchoire sur son frêle cou blanc
Savourant la chaleur d’une âme terrorisée

Elle a cru défaillir quand tu l’as enlacée
Et toi tu exultais, prêt à gouter son sang
Ta chair glacée n’a pas perçu le froid brulant
Lorsqu’elle trancha ta gorge de sa lame argentée

Tes siècles d’existence t’on rendu trop confiant
Au point de négliger de subtiles sensations
Tu as précipité l’heure de ton extinction
Par ta hardiesse et ton aveuglement.

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novembre 4

La voix des ombres

Cette voix qui susurre lorsque vient le silence
Ce murmure insistant s’immisçant dans mon âme
Allume dans mon esprit de bien étranges flammes
Ravivant en mon cœur de malsaines souffrances

Elle vient lorsque s’éveille le sombre voyageur
L’arpenteur de ténèbres aux si noires pensées
Se nourrissant de peines dans son obscurité
Secouant ses entraves, insufflant sa terreur

Il est celui qu’exècrent l’honneur et la raison
Contournant leurs défenses pour libérer sa rage
Sans cesse il travaille à saper leur barrage
Attisant les feux blêmes de médiocres passions

Lentement, pas à pas, il instille ses idées
Corrompant patiemment toute mes réflexions
Rampant insidieusement dans l’ombre et l’illusion
Rongeant chaque parcelle de mon identité

Il voudrait sous mon masque pouvoir me contrôler
Me contraindre par la force à accomplir son œuvre
User de ma psyché pour parfaire ses manœuvres
S’emparer de mon être pour mieux le consumer

J’entends sa volonté rugir en chaque battement
Comprimant un peu plus mon cœur entre ses poings
Déchainant sa fureur contre tout un chacun
Il vient pour m’envahir, me faire son instrument

Si d’aventure ce prince aux ténébreux désirs
Etendait son pouvoir sur toute ma personne
S’annoncerait pour mon monde l’heure où seul le glas sonne
Et pour l’arrêter il me faudrait périr.

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